Ça fait si longtemps qu'on attendait le retour de Max. Le flic endeuillé guidé par la vengeance, le légendaire guerrier des routes fracassées, l'apôtre des temps perdus. Son créateur George Miller en avait fait un vengeur implacable avant de l'ériger en héros improbable, conférant à sa trajectoire dramatique les atours d'un authentique récit initiatique pour la conclure sur la vision d'un homme solitaire s'enfonçant tel un prophète dans le désert. Tout ceci dans une trilogie aussi culte qu'inégale mais toujours cohérente dans l'évolution de son personnage éponyme.
Un triptyque qui a tellement marqué les esprits que son anti-héros est resté depuis l'icone la plus vivace du cinéma post-apocalyptique. Aussi violente que subversive, l'oeuvre de Miller n'a jamais cessé de nourrir l'imaginaire collectif au point de devenir un véritable mythe cinématographique. Absent des écrans depuis bientôt trente ans, Max le fou n'en a ainsi pas moins laissé un héritage prolifique tant au cinéma (Waterworld, Le livre d'Eli) qu'en littérature (La route, Bloodsilver) ainsi que dans la BD, les mangas (Hokuto No Ken, Gunnm) et les jeux vidéos. Au point que Miller s'est rapidement vu délesté du mythe contemporain qu'il avait créé par les nombreux auteurs qui lui auront succédé. Beaucoup de spectateurs ignorent encore j'en suis sûr l'apport déterminant du réalisateur de Babe, un cochon dans la ville et de Happy Feet au genre post-apocalyptique. Il est d'ailleurs étonnant de jeter un oeil à la filmo de ce réalisateur déterminant et de s'apercevoir qu'il fut si peu prolifique en trente ans.
Longtemps annoncé, maintes fois repoussé, le quatrième opus de la franchise aura régulièrement hanté les marges previews depuis la fin des 90's. Plus de quinze ans de projets annulés, de pré-productions contrariées, de casting modifiés (Michael Biehn, Heath Ledger, Paul Walker et bien sûr Mel Gibson furent chacun pressentis pour reprendre le rôle). Malgré ces reports successifs, Miller n'a pourtant pas cessé d'y croire et de porter son projet à bout de bras face aux frileux décisionnaires de la Fox puis de la Warner. Mieux encore, il aura eu tout le temps de repenser son film et d'en faire évoluer la trame et l'univers tout en affinant son art de la mise en scène et de la stéréoscopie dans la réalisation du diptyque Happy Feet (qui malgré ses apparences "grand public" reste en parfaite cohérence avec les préoccupations campbellienne de son auteur).
Fury Road fait donc figure de véritable arlésienne cinématographique, d'autant que les différentes bandes-annonces du film, en plus d'éventer clairement toute l'exposition du film, n'en auront rendu l'attente que plus insupportable (l'utilisation du Dies Irae de Verdi fait toujours son effet, cela dit). Une attente à laquelle répond finalement le grondement d'un moteur puis des cris et une voix-off monocorde nous résumant en quelques mots le contexte post-apocalyptique de l'oeuvre. Cette voix ce n'est plus celle d'un vieillard mourant ni même d'une jeune fille narrant la légende mais bien celle de Max (Tom Hardy, impeccable comme à son habitude) que l'on retrouve debout de dos, occupé à scruter l'horizon désertique. Ce premier plan iconique suffit à lui-seul à replacer le personnage tel qu'il est resté dans la mémoire collective depuis trente ans : un loup solitaire perdu dans un désert apocalyptique sans fin.
Un seul plan qui suffit également à resituer la temporalité de l'intrigue via la seule présence de l'Interceptor (détruit dans le second opus) aux côtés de Max : Fury Road ne sera pas une suite de The Road Warrior et de Beyond Thunderdome. Toute l'exposition qui suit confirmera cette thèse, évoquant le passé modifié de Max à coup de flash-backs, de visions fantomatiques qui ne cessent de le blâmer et de le plonger à la limite de la schizophrénie. Sachant pertinemment qu'il vise maintenant une audience plus large que celle de son triptyque initial, Miller fait le choix de redéfinir subtilement le background de son personnage tout en se gardant bien de trop en révéler. Mieux encore, il prend le parti plutôt gonflé de malmener dans un premier temps son anti-héros en en faisant le prisonnier d'une secte de grands tarés, laquelle s'en sert comme donneur de sang entravée avant d'en faire la tête de proue improbable d'un escadron suicidaire. Cantonné à la passivité durant l'essentiel de l'exposition du film, Max ne peut que fulminer derrière son masque comme un molosse grognant dans sa muselière, jurant contre ceux qui l'ont dépouillé de son Interceptor et qui menacent continuellement sa vie.
Une telle approche démystificatrice du "héros" permet surtout à Miller de mettre en perspective les autres protagonistes de son histoire et d'enrichir du même coup considérablement la mythologie de son Wasteland. Tout passe d'abord par le gigantisme vertigineux des décors, cette forteresse délirante et le foisonnement de personnages censés composer les différentes strates d'une population difforme et dégénérée réunie sous l'égide du seigneur de guerre Immortan Joe. Un antagoniste qui outre son masque outrancier fait bien évidemment écho à tous les tyrans de l'Histoire (en plus d'Humungus), gardant la main-mise sur son peuple et ses troupes par un culte de la personnalité qui l'érige en figure quasi-divine et immortelle. A ses ordres, se distinguent différentes castes de serviteurs et de guerriers (les Imperators, les War Boys, les perchistes, les flambeurs, les reproductrices...). Un amas grouillant de personnages duquel se distingue très vite celui de Nux (Nicholas Hoult), un jeune guerrier fanatique, obnubilé par l'idée de passer à la postérité en mourant héroïquement sur le champ de bataille. Un personnage aussi délirant que versatile, aveuglé par une soif de gloire inextinguible.
Et puis il y a évidemment celui de Furiosa (Charlize Theron, excellente), guerrière taciturne prenant la tête d'un escadron de combat avant de détourner son véhicule pour une cause plus noble... Avec ce personnage aussi ambigu que visuellement marquant (crâne tondu, front recouvert de mazout, bras robotique), Miller a clairement l'ambition d'ériger rien de moins qu'une nouvelle icone du cinéma post-apocalyptique, mettant l'emphase sur ses premières apparitions pour en faire la véritable héroïne du métrage. Car au final, c'est la seule volonté de Furiosa qui dictera toute l'intrigue du film, reléguant ainsi Max Rockatansky au même rôle qu'il occupait dans le second opus, à savoir celui d'un anti-héros contraint de prendre part à un combat qui n'est à priori pas le sien.
Est-ce à dire que Miller délaisse son personnage légendaire au profit d'un nouveau ? Pas exactement. La volonté affichée de Miller de désacraliser dans un premier temps son personnage-titre passe par l'attachement au personnage de Furiosa, laquelle paraît bien plus humaine et héroïque que ne peut l'être Max, alors décrit comme essentiellement brutal et égoïste. La première altercation entre les deux personnages initie alors leur association improbable, Max se retrouvant embringué malgré lui dans le périple de la guerrière. Mieux encore, Miller pousse même l'audace jusqu'à reléguer parfois les actes de Max hors-champ pour privilégier le point de vue de Furiosa, notamment lors d'une superbe séquence de nuit où on le voit disparaître pour revenir le visage couvert du sang de ses ennemis. Ce traitement périphérique du personnage n'a finalement pour seul but que de lui conférer à nouveau son statut d'anti-héros légendaire, évoluant au-delà du regard des autres protagonistes et du public. Un héros au sens strictement campbellien du terme, dont les motivations et les actes dépassent finalement la compréhension pour embrasser une cause plus grande. Et ce ne sont pas les deux derniers plans du film, extrêmement évocateurs, qui viendront contredire cet argument.
Si Miller ne sacrifie ainsi jamais son propos et la caractérisation de ses personnages au spectaculaire, force est de reconnaître que le domaine dans lequel Fury Road brille de mille feu est bien celui de l'action pure. Par une maîtrise et une virtuosité technique sans commune-mesure, le réalisateur transcende tout ce qui nous a été donné de voir en la matière. L'essentiel de son film se présente ainsi comme une course-poursuite quasi-ininterrompue qui sur près de deux longues heures fait écho à la mythique scène finale de Mad Max 2. L'occasion pour Miller de livrer une succession de morceaux de bravoure sidérants que ce soit cette fameuse scène de la tempête (une des seules séquences du film faisant appel à des CGI), cette confrontation entre Max et Furiosa dans le désert ou encore cette dernière ligne droite où le camion des protagonistes se retrouve pris en étau entre ceux de leurs poursuivants et où l'action se divise subtilement par les actes de Max (les passages du guitariste aveugle et de la perche sont à ce titre simplement jubilatoires), de Furiosa (son génial règlement de comptes) et de Nux pour concentrer finalement tous les enjeux dramatiques du métrage. Le tout relevé par une photographie somptueuse dont la palette chromatique variée (alternance de couleurs ocres et bleutés) figure à merveille la timeline réduite de l'intrigue qui ne se déroule que sur quatre jours. A noter également la B.O. magistrale de Tom Holkenborg (alias Junkie XL), un score à la fois intra et extradiégétique qui participe grandement à accentuer toute la démesure et l'intensité du spectacle.
Réalisé avec un soin maniaque par un réalisateur en état de grâce, Fury Road affiche ainsi des ambitions cinématographiques inédites et fait désormais autorité dans les domaines du post-apo et de l'actioner. Le film ne pourra évidemment pas plaire à tout le monde, surtout à ceux qui sont restés hermétiques à la trilogie originale. Tant pis pour eux... Ayant attendu le film depuis mes seize ans, j'ai clairement préféré voir en ce Fury Road un événement rarissime dans toute une vie de cinéphile.
Pour ma critique de Mad Max (premier du nom) c'est par ici :
http://www.senscritique.com/film/Mad_Max/critique/34316857
Pour celle de Mad Max 2, c'est par là :
http://www.senscritique.com/film/Mad_Max_2_Le_Defi/critique/34021251
Pour celle du troisième chapitre, c'est juste là :
http://www.senscritique.com/film/Mad_Max_Au_dela_du_dome_du_tonnerre/critique/34339002