Mad Max : Fury Road. Rarement un film aura aussi bien porté son titre. Un ouragan de péripéties propulsées sur une route semée de folie et de fureur. George Miller, déjà auteur des trois premiers opus consacrés au célèbre road warrior, nous offre le grand film d’action qu’on n’osait plus espérer depuis la sortie de l’audacieux Matrix.
Bourré jusqu’à la gueule de séquences de poursuites dantesques, d’une générosité graphique hallucinante, doté d’un sens du cadre grandiose, monté avec une énergie et une précision inouïes, transcendé par une bande originale d’un lyrisme barbare, Mad Max : Fury Road redonne ses lettres de noblesse à un genre que l’on croyait perdu, enterré sous le formatage pudibond des blockbusters actuels. Habité par une rage de filmer hors du commun et une foi de conteur inébranlable, George Miller propose ni plus ni moins un nouveau modèle, une synthèse explosive et jubilatoire de film d’aventure, forgé à la fois dans un respect de l’art cinématographique à l’ancienne (cascades épiques plus vraies que nature, découpage lisible de l’action) et dans l’usage intelligent des moyens les plus récents (tableaux cataclysmiques saisissants de réalisme).
Mais si le film tout entier se donne à voir comme un morceau de bravoure quasiment ininterrompu, force est de constater – face à l’émotion presque paradoxale qui en émane – que son intrigue ne sacrifie jamais sa portée mythologique, universelle, sur l’autel du tape-à-l’œil gratuit particulièrement prisé par l’industrie hollywoodienne. Construit sur une ligne simple et claire, à l’image de la route irrésistible qu’empruntent les personnages, le scénario de Fury Road porte en lui les codes du récit initiatique inhérent au genre de l’aventure, à travers une grammaire exclusivement visuelle. La poursuite, véritable moteur dramatique du film, emblématise le parcours de chaque personnage sur le sentier de sa destinée. Nul besoin de dialogues paraphrastiques, nul besoin d’explicitation scolaire des enjeux, tout se bâtit dans l’action, dans l’urgence dramaturgique des plans.
Le jeu permanent, dans le cadre, sur l’horizontalité des lignes de fuite (renforcé par l’emploi virtuose du format 2.35) et le fantasme de verticalité des héros (rêve d’un monde meilleur, regards vers le ciel), permet une lecture hautement symbolique de l’intrigue, où la bataille fait rage entre l’immanence subie d’un univers post-apocalyptique plombé, et un désir de transcendance commun aux protagonistes et à leurs adversaires. Si l’on s’identifie aisément à Max et à son alter ego féminin Furiosa dans leur tentative d’évasion pour une terre promise, quelle est cette étrange empathie que l’on ressent à l’égard de leur antagoniste, Immortan Joe ? Sous son masque de mort et l’aspect monstrueux de son corps de mutant, n’aspire-t-il pas, lui aussi, à une forme perdue de pureté dans son désir obsessionnel d’enfanter un être normalement constitué ? Au fond, c’est la (recon)quête de leur humanité enfuie, un rêve désespéré de rédemption, de retour aux origines, qui anime les personnages. Périple hanté de bruits et de fureur sur les routes d’un monde chaotique, gangréné par un excès morbide de virilité, s’achevant sur la redécouverte – d’une évidence bouleversante – de la source de toute vie, en plaçant littéralement ses héroïnes sur un piédestal, Mad Mad : Fury Road est un opéra furibond, un hymne déchaîné à la féminité.
La critique sur mon blog The Screen Addict