Isabelle Bovary

Chabrol adore Flaubert. Adorer un auteur, ce n’est pas la bonne porte d’entrée pour aborder son œuvre, surtout quand on veut l’adapter au cinéma. Chabrol n’essaie pas d’adapter Flaubert, il nous le ressort à la lettre, presque du mot pour mot. C’est presque la catastrophe. Le livre original à une telle aura, que ceux qui ne l’ont pas lus, vont se dire que cette histoire est plus que banale, et le film pas le meilleur Chabrol, et ceux qui l’ont lus, ils vont découper ce bon vieux Claude en petits morceaux, car il a raté son coup. Il a voulu capter l’essence du bouquin, ce qu’il pense être l’essence du bouquin, le parcours d’Emma, comment elle a vécue, comment elle est morte. Ça aurait pût marcher, si Chabrol lui-même n’avait un style très particulier, qui consiste souvent à dépeindre les défauts, et la bêtise de la petite bourgeoisie. Il utilise le livre comme pitch, et fait du Chabrol. Moralité ?

Moralité, je ne suis pas sûr que Chabrol soit le mieux placé pour adapter Madame Bovary. Il réemploi son actrice fétiche pour incarner Emma, (ça se discute), il prend Jean-François Balmer  pour incarner Charles, (pas mal), par contre Jean Yanne, pour incarner le pharmacien, c’est une erreur. Jean est trop acteur instinctif, pas assez comédien de composition pour avoir la distance de jeu nécessaire. Et surtout, Claude le laisse libre, sans collier, pour cabotiner à qui mieux, mieux. Dès qu’il apparaît, on oublie tout le reste, et on assiste a un sketch. Catastrophe. Chabrol pensait avoir un sujet, or le livre dont il s’inspire, a longtemps été jugé inadaptable, pour la bonne et simple raison, qu’il n’a pas de sujet. Ce n’est pas pour rien que Flaubert, qui voulait avant tout faire une œuvre d’une perfection stylistique « absolue », a choisi comme point de départ, un fait divers banal, lu dans le journal. Seul le style compte, pour une œuvre formaliste, devenue un classique du genre incontournable. 
 Pour adapter ce pavé, mieux valait risquer la relecture à fond la caisse, quitte à choquer. Sinon on tombe dans le décalque, on reste en surface, d’où l’impression de banalité de l’histoire, de la narration, du début à la fin, de tout. Chabrol qui n’est pas intéressé par la perfection stylistique, la beauté formelle, passe un peu à côté, et son style très pictural, ironique, un peu goguenard, ne lui sert à rien. S’il s’agit d’illustrer le roman en images, on va dire que c’est intéressant. Avec plus de moyens, on ferait comme les américains, on appellerait ça un blockbuster. Aucune distance, mais bon divertissement. Huppert joue bien, mais le film joue mal.