Lauréat du Léopard d’or au Festival de Locarno, « Mrs Fang », cadré par Wang Bing, place le spectateur au cœur d’une introspection déchirante, et surtout, particulièrement lourde. Se plaçant comme un funambule marchant sur le fil des limites du cinéma, Wang Bing nous immerge dans nos angoisses les plus profondes, en nous montrant la mort en face. À vrai dire, le film se suffisait déjà à son introduction : Mme Fang errant dans la rue, seule. Et puis « Un an plus tard ». Ce à quoi se succède un gros plan, représentant le visage de Mme Fang, alors en pleine agonie. C’est ainsi que le visage de Mme Fang nous marque d’emblée, au fer rouge. Et à ce titre, il est difficile de considérer « Mrs Fang », tant le film opère une véritable démystification de la mort, puisque cette dernière, in fine, finie par s’apprivoiser, à travers un long processus, ici relaté. Frappant son œuvre d’un intimisme torturé, Wang Bing affirmait, en interview, bien connaître cette famille, et que cette dernière ne l’avait jamais dérangé pendant le tournage. Pourtant, nous les sentons mal à l’aise, à voir cette caméra tourner face à leur doyenne mourante. Et pour dire les choses clairement, nous, spectateurs, sommes davantage gênés à voir cette famille perdre un être cher que par ce visage impuissant. Le film n’a de cesse de nous rappeler l’essentialité de la solidarité familiale, mais cela laisse émerger une autre problématique. Car, lorsque Wang Bing ne filme pas Mme Fang, il filme son environnement, dont elle ne fait déjà plus partie. C’est un village qui semble presque abandonné, dans lequel la vie suit son quotidien. Nous voyons souvent la même séquence : celle où le frère de Mme Fang pèche, avec l’aide d’une canne électrifiée. C’est à ce moment que « Mrs Fang » prend une tournure politique, en montrant l’absence d’une aide de l’État. Et, en parallèle, l’agonie de Mme Fang est très longue. Les jours passent, ils sont de plus en plus mortuaires, mais elle refuse de mourir. Et les scènes se répètent, encore et encore. Peut-être cette Mme Fang est, au yeux de Wang Bing, cette population mourante, seule, et solidement entourée par des gens qui ne savent que faire. Tout cela, il faut l’admettre, est une expression très cinématographique.
À lire également sur mon blog.