Mrs. Fang capte pendant de longues minutes les regards perdus et les mouvements douloureux d’une femme en fin de vie comme pour les forcer à signifier quelque chose, les faire dialoguer avec un spectateur qu’ils raccordent à sa finitude et à la fragilité de son existence. Pourtant, c’est moins ce lent glissement vers la disparition qui s’avère digne d’intérêt que la façon qu’a l’entourage de la mourante de continuer de vivre : la perspective du deuil les conduit à parler argent, à aller pêcher pour pallier des difficultés financières liées à leur condition sociale. En ce sens, Wang Bing retrouve la veine politique de son cinéma : voir une partie de pêche périlleuse, voir une femme âgée manger son bol de nouilles devant un quartier ouvrier délabré et spectral, assise dans un fauteuil que soutiennent des cales disparates, en disent davantage sur la Chine que le mutisme doloriste de ladite Fang, dont les expressions corporelles et faciales sont liées à l’universel dépérissement des êtres – en l’occurrence ici la maladie d’Alzheimer.
En outre, le documentaire confond l’exploration d’une personne avec son exploitation à l’écran, n’hésitant pas à violer l’intimité d’une vieille dame mise à nu à son insu dans un but esthétique, afin de ravir les derniers sursauts d’une âme en train de s’en aller et de les immortaliser par la caméra, pour le cinéma.