C’est bien joli de vouloir travailler sur l’inattendu, la linéarité brinquebalante, de proposer de l’inconfort de manière générale – Bozon n’a cessé de répéter que ce qu’il aimait par-dessus tout au cinéma c’est être surpris, merci, nous aussi mec – mais l’originalité du film se retourne un peu contre lui tant il finit par être statique et in fine peu inventif en se créant sa propre banalité. Cette volonté d’inversion des codes pour tout, en permanence, rend le film assez indigeste, trop écrit, trop distant, trop film-dispositif. J’avais déjà éprouvé ça dans Tip Top, son précédent film. Les décalages sont ici plus étranges, plus doux aussi, mais il manque au film une vraie folie ou un peu d’émotion, tout simplement. On sent qu’il est en quête des deux – le final est très sombre, les passages nocturnes sont osés – mais il ne fait que les effleurer, on s’ennuie vite, sans doute car la démarche de Bozon s’incarne dans la vignette, pas du tout dans un abandon onirique. Que l’auteur, qui était présent à l’issue de la séance, réclame son inspiration de Franju, Cocteau ou Brisseau, en dit long sur sa démarche poétique, mais son film est beaucoup trop ankylosé dans la brièveté burlesque pour s’ouvrir à de vrais élans de poésie. Ça ressemble davantage à du Tati bavard, à du Tati raté. C’est pas désagréable pour autant, il y a de belles trouvailles comme le contre-emploi de José Garcia, dont le personnage s’épanouit en homme au foyer, ou bien l’effervescence comique d’un Romain Duris en proviseur pathétique et délicieux, mais globalement je m’y ennuie poliment. J’ai préféré le débat et je m’en doutais car si Bozon parle beaucoup trop vite, il est surtout très érudit, passionnant, volubile, peut parler mise en scène, anecdotes de tournage, éducation et symbolique sans prendre de gants, raconter sa passion pour Ford, Tourneur et Rohmer, chier sur le numérique et le naturalisme, et avouer qu’il a surtout voulu faire un film de transmission avant une série B fauchée. Mais il y a chez lui un refus, un dégoût maladif du naturalisme, du réalisme, comme s’il s’agissait de gros mots, alors que son cinéma pourrait s’en servir comme rampe de lancement, de façon à renforcer sa dimension poétique. Certains semblent avoir captés ça dans Madame Hyde, tant mieux pour eux. Je pense au contraire qu’il avait trouvé l’équilibre miracle avec La France, et qu’il peine dorénavant à le retrouver sans doute car il est trop obnubilé à ne surtout pas faire comme tout le monde. Et puis Bozon raconte que son film aurait pu faire trois heures tant il avait de bons rushs, mais qu’il a amputé énormément. Et on ressent ce montage compulsif. C’est vraiment pas bon. Ça manque de rythme. Parfois on voudrait couper et à contrario ailleurs on aimerait que ça s’étire. L’impression en permanence que le cut ne se fait pas quand il faudrait. Et puis, plus globalement, j’ai un problème avec le statut de Bozon, qui dit s’inspirer du bis plutôt que du cinéma d’auteur, du giallo plutôt que du cinéma fantastique américain, mais son film est tout sauf un truc pour déviants. Faut arrêter les conneries. Au mieux ça pourrait en effet évoquer Brisseau voire Tati mais c’est tellement programmé, sous ses atours de farce décalée et survoltée, que ça ressemble moins à Playtime et De bruit et du fureur qu’à du Bonitzer ou du Ozon qui auraient un peu picolé. Bref il m’a autant saoulé que le film. Et n’a cessé de parler de Kechiche durant le débat. C’est le mal, Kechiche, pour lui. Plus clairement, il dit qu’on aime soit Bozon soit Kechiche. Perso, j’ai fait mon choix. Choix qui ne m’empêche pas d’aimer Franju, Cocteau et Brisseau.

JanosValuska
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le 7 juil. 2018

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