Récit d'une expérience senscritiquienne

Je dois avouer que lorsque les premiers termes du générique sont apparus à l'écran, et que j'ai rapidement compris que j'allais assister à un film français en avant-première parisienne "mystère", alors que je venais de quitter une journée de boulot harassante, et que j'étais en train de prendre le risque inconsidéré de rater la correspondance de mon train de retour en raison de l'horaire tardif, là, d'un coup, je me suis senti défaillir.


Je me suis senti escroqué, appâté que j'étais par l'avant-première gratuite proposée par Senscritique, et la sélection des films présentés lors des précédentes éditions du "cinexpérience", et en particulier le loufoque "The Lobster" que j'aurais kiffé découvrir dans ces conditions.


Putain, un film français.
Merde. Pourquoi ça tombe sur moi ?


Je prends soin d'éviter soigneusement le cinéma français du 21ème siècle (voire même le cinéma français post 80's qui a l'air particulièrement dégueulasse), donc je ne suis pas le plus compétent pour en parler, mais ça m'a tout même l'air d'être de la bonne grosse bousasse en règle générale. Exception faite cette année de Dheepan film assez classieux formellement parlant, mais au scénario de genre un peu boiteux et qui renvoie pas mal à ce "Made in France" dans ses vilains défauts.


La bonne surprise ici, c'est que le réalisateur Nicolas Boukhrief semble partager un diagnostic assez similaire et dresse le constat (peut-être exagéré) d'un cinéma français sclérosé, avec un système de production et de financement foireux bénéficiant essentiellement aux comédies débiles (avec un tacle bien senti envers Kev Adams) et au cinéma d'auteur franchouillard boboisant, et où le cinéma de genre ne trouve guère de place.


Ce qui est assez drôle, c'est qu'en découvrant "Made In France" sans avoir la moindre idée du nom du réal (il n'y a pas de générique introductif), je me suis mis à penser que ça ressemblait un peu au "Convoyeur" mais en moins bien, ce qui montre bien que Boukhrief est un véritable auteur, avec une patte identifiable.
"Le Convoyeur" est à ce titre l'un des rarissimes films de genre français (le seul ?) à m'avoir vraiment plu et convaincu dans sa radicalité, en réussissant l'exploit de demeurer saisissant et crédible jusqu'à un final explosif d'une tension incroyable, sans jamais verser dans le grotesque.
Le film tendait vers une certaine épure qui prenait tragiquement un virage poétique et surréaliste, avec ce parti-pris malin de suivre le point de vue d'un formidable personnage de névrosé interprété génialement par un Albert Dupontel à son sommet.


Rien de l'artificialité exagérée que l'on retrouve dans "Made in France" et qui finit par nuire au projet.


Un film bourré de "trucs" de scénario



-Un héros fadasse dont l'histoire ressemble à celle de 3 millions de polars de série télé bas de gamme : le pseudo infiltré obligé de continuer sa mission contre sa volonté et à ses risques et périls pour démanteler un réseau de vilains, on a déjà vu ça en beaucoup mieux.
Même Homeland qui en tenait pourtant une sacrée couche, n'osait pas aller aussi loin dans l'épaisseur des ficelles scénaristiques, avec flics de pacotilles aux dialogues surécrits et explicatifs façon Christopher Nolan :
Gastambide qui joue le rôle du super flic, à deux doigts d'avoir un fou rire tant il ne croit pas une seconde à son rôle, qui lâche des répliques du type : "Vous savez, il y a 3000 personnes suspectées de jihadisme en France, nos effectifs sont limités à 1 pour 50 personnes blablablabla".
Rien de plus relou qu'un personnage qui n'existe pas, et dont l'unique objet est de servir de fiche wikipedia. Des flics pas crédibles pour un sous donc, et qui prennent un vieil air affecté et sévère en mode film américain du pauvre.


-Des dialogues sur-écrits pour des personnages sous-écrits :
Je pense notamment à la femme (dans un rôle particulièrement ingrat) du grand méchant : "Je suis ta femme et je t'aime"
Le grand méchant : "je suis ton mari et je t'aime aussi"
Qui parle comme ça IRL ?


-Des twists à gogo, et en particulier au cours du climax qui achèvent de grandguignoliser le film dans un déluge de grand n'importe quoi foutraque :
Cf à ce sujet l'excellente chronique de Yannick Dahan sur les indigestions de Twist au cinéma. On est totalement dans ce problème : qui dit film de genre, ne dit pas twist débiles en série qui ruinent un projet, et affecte la cohérence et la crédibilité d'un univers.


Ici plus rien n'a de sens à partir du moment où un premier flic se fait tuer, alors que la bande d'apprentis jihadistes est pourtant suivie de près, et qu'ils continuent de vivre leur vie tranquillement comme si de rien n'était. Sans parler de la succession d'événements de plus en plus vaseux qui n'auront aucun impact sur rien, puisque les personnages vivent dans un monde concrètement vide, où n'existe ni police, ni citoyens, ni médias, ni rien.


L'univers présenté est tellement déréalisé, les personnages tellement déracinés de toute réalité environnante, qu'il devient difficile de comprendre le projet qui vise pourtant à présenter la dérive de jeunes "français" dans l'intégrisme le plus absolu. La France ici n'existe tout simplement pas, elle n'est même pas une silhouette. Comment dès lors comprendre et s'intéresser à ce parcours qui n'est à aucun moment confronté au réel, et finit par dériver en pur exercice de style de film d'action complètement vain et mal branlé ?
Comment ne pas pouffer de rire à la voix off finale qui nous explique que la foi c'est fait pour être gentil, dans un délire bisounours et consensuel complètement hors-sujet avec tout ce que l'on vient de voir ?


-Le personnage du méchant qui va susciter le plus de débat :


La volonté de Boukhrief est claire, il voulait susciter de l'empathie pour les jeunes gamins qui veulent faire le djihad. L'idée même de suivre ce groupe de terroristes en herbe (qui rappelle très clairement la comédie "We are four lions"), et un peu loser, est excellente, et permet de les humaniser. Ils ont tous des personnalités distinctes, même si cela semble un peu trop schématique, avec le fils de bonne famille breton fan de Tony Montana, ou le malien qui veut venger un oncle tué par un militaire français, on sent qu'on les a mis dans des cases préétablies par les médias. Les personnages, quand ils sont pris individuellement fonctionnent pas mal, avec quelques répliques bien senties, et quelques (mais rares) échanges savoureux.


Mais le groupe ne fonctionne pas du tout, notamment lorsqu'il est chapeauté par le grand gourou qui fait office de méchant du film, un psychopathe unidimensionnel, qui rend le film très manichéen. C'est un choix délibéré de Boukhrief, il lui fallait un vrai méchant pour ne pas cautionner le terrorisme islamiste, quitte à en faire des caisses et avoir un personnage aux limites du ridicule qui frise plus souvent le supervilain de cartoon, avec ses poses et ses regards en coin, que le leader charismatique et inquiétant.


L'alchimie entre ces différents personnages ne prend pas, ils ont globalement l'air de très peu se connaître, alors qu'on suppose des liens bien plus forts entre des protagonistes prêts à organiser des attentats de grande ampleur.
Le passage à l'acte par ces gamins est difficile à gober, et le basculement dans le fanatisme pur et dur est trop brutal et simpliste, pour vraiment convaincre (et ce malgré les invectives du méchant de cartoon).


-Autre "truc" de scénar "L'Embrouille Cinéma"


Il s'agit d'un conditionnement qui n'existe que dans les films, mais pas dans la vraie vie.
Ici on a un personnage qui s'embrouille avec un autre (pensez à deux joueurs de foot d'équipes adverses qui veulent en venir aux mains), et qui sont séparés par leurs camarades qui viennent faire écran en mode "nan, lui casse pas la gueule Mouloud, ça n'en vaut pas la peine !".
Et t'as un mec vénère qui toise l'autre avec un regard super noir, et bombe le torse sans rien dire pendant de longues secondes, du genre le silence qui en dit vachement long tu vois.


Ben ce cliché d'embrouille, une fois ça passe, deux fois c'est lourdingue, et dans ce film on l'a en copié/collé avec des protagonistes différents à chaque fois.


Ca me rappelle un des rares aspects qui m'avait plu et fait rire dans le dernier Woody Allen, "L'Homme irrationnel", et qui se moquait de ce type de conditionnements de cinéma :
On y présupposait qu'une personne lorsqu'elle s'assied sur un banc déjà occupé, va pousser naturellement son voisin à surélever son journal, se décaler vers l'extrémité du banc, et se détourner, de sorte qu'il devient possible de remplacer le gobelet qu'elle a bien entendu laissé posé au milieu du banc, par un autre rempli de poison. Une convention filmique tellement exagérée, qu'elle en devient savoureuse et drôle. Rien de cette ironie dans "Made in France" évidemment.


Reste que Nicolas Boukhrief est un type extrêmement sympa, abordable et défendait ses choix avec passion, tout en acceptant les critiques, donc ça a été une bonne expérience tout compte fait.

KingRabbit
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le 27 oct. 2015

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