Le somptueux Park Chan-wook, réalisateur et coscénariste Sud-Coréen de l’extraordinaire Old Boy, se charge à nouveau de ces mêmes tâches pour nous proposer un film où l’on retrouve le style et l’écriture propre à ce cinéaste. Dans cette adaptation du roman Fingersmith (Du bout des doigts) de Sarah Waters, le film nous plonge dans les années trente, durant l’occupation japonaise en Corée, où une jeune femme Sookee (Kim Tae-ri) est engagée comme servante auprès de Mademoiselle Hideko (Kim Min-hee) une riche japonaise vivant sous la tutelle d’un oncle étrange, repoussant, buveur de livre et tyrannique. Cependant, l’arrivée de Sookee au manoir n’est pas un hasard, avec la complicité d’un escroc se faisant passé pour un comte ils ont pour projet de le marier à la sublime Hideko, pour ensuite envoyer celle-ci à l’asile et récupérer sa fortune. Fort heureusement, le scénario ne se limite pas à ce synopsis, bien au contraire, car la suite de l’histoire s’émancipe de cette base presque conventionnelle du mariage aux intérêts financiers. Pour rendre hommage à l’essence britannique du livre de Sarah Waters, on trouve dans le film certains mélanges culturels gracieusement établis. Ce métissage, sûrement influencé par le retour de Park Chan-wook des Etats-Unis depuis son précédent long-métrage Stoker, se retrouve à travers le manoir divisé en une partie architecturelle japonaise et une autre britannique, les chambres aux grands lits à baldaquins aux draps de satins et les chambres traditionnelles japonaises, les robes occidentales en dentelles aux corsais et les kimonos japonais et Hanboks Coréen.
A travers un film découpé en trois parties distinctes, la talentueuse mise en scène due principalement à un cadre maîtrisant le hors-champs visuel ou sonore, la symétrie, mais aussi à la fluidité des mouvements de caméra avec le souci de filmer poétiquement chaque instant, nous montre une fois de plus la richesse du cinéma asiatique absent ou peu présent dans l’exploitation occidentales. Grâce à cette maîtrise, le film nous emmène à maintes reprises là où notre ouïe nous trompe, où notre regard se joue de notre bon sens, où l’un sans l’autre peut se présenter comme un faux-semblant, et où les deux, combinés, peuvent duper ardemment. La structure du scénario, dont en résulte la forme du film, avec une histoire se renversant à deux reprises, s’apparente à la personnalité des personnages sur fond de manipulation, de complot et de trahison. Car les supercheries qui se manigancent s’appliquent aux personnages certes, mais elles touchent de plus belle la cohérence établie par le spectateur. L’habilité des révélations s’effectue à travers les différents points de vue des personnages et par conséquent par un ressenti différent d’une même situation, certaines scènes étant soit montrées à deux reprises soit perçues sous un autre angle. De ce fait, le spectateur se fait tout aussi berner par les personnages, que les personnages se manipulent et se trompent entre eux. Pour cela, le jeu d’acteurs se doit d’être d’une justesse imparable pour exprimer explicitement une première idée, et se trouve tout aussi délicat pour en montrer implicitement une autre que l’on doit percevoir après coup. Il se trouve qu’un autre aspect marquant de ce film est lié au jeu touchant et subtil des actrices.
L’érotisme. Le début du film repose sur une tension sexuelle qui, lorsqu’elle atteint son point culminant, propose une scène, réalisée avec brio, montrant un acte d’amour avec une esthétique de l’émotion exponentielle due : aux actrices, bien évidemment à la musique, et au montage qui jongle entre des longs plans contemplatifs et de gros plans sur le corps et les visages, pour nous placer toujours plus près du plaisir. Ici l’émotion ne trompe pas, elle s’exalte pour la première fois, s’opposant à la retenue permanente des personnages qui intériorisent leur désir et n’expriment jamais leurs sentiments. Lorsque les corps nues s’harmonisent, le film cherche à apporter une image sensible qui porte l’émotion avec toujours l’idée de rendre les scènes poétiques, contrairement au réalisme cru et marquant des scènes d’amour de La vie d’Adèle qui relèvent presque du documentaire. Néanmoins, Park Chan-wook n’hésite pas à placer sa caméra en vision subjective, non pas au niveau des yeux mais au niveau du sexe, montrant ainsi son inventivité à montrer le plaisir charnel de manière déconcertante. L’étonnante Kim Tae-ri qui fait sa première apparition dans le monde du cinéma délivre une prestation plus que pertinente pour ces scènes osées. Pour en revenir à la musique, l’apport de Cho Young-wuk, compositeur des films de Chan-wook, est non négligeable quant à la qualité de l’œuvre. La bande originale ne se situe pas en arrière-plan du film. Certaines scènes jouent sur les couleurs feutrés, lorsqu’Hideko choisit des gants aux tons différents presque invisibles, et d’autres mettent en avant la musique avec comme exemple la scène de fuite des jeunes femmes où la mélodie porte et créée de l’émotion, contrairement à abondamment de bandes originales actuelles qui se contentent d’accompagner l’action sans que l’on perçoive de mélodie où simplement de musique. Même si le contre argument est souvent celui de la mise en place d’une ambiance via une musique presque apercevable, il est toujours très agréable d’écouter pleinement une fabuleuse bande originale durant un film. Certains passages forts en émotions relèvent d’une hybridation parfaite entre la peinture pour les couleurs et le carde, de la poésie pour les dialogues et la voix off, et de la musique composée expressivement. Cette interpénétration des arts qui est aujourd’hui la caractéristique formelle du cinéma n’est réellement aboutie que par les grands cinéastes.
Park Chan-wook offre un film audacieux, plaçant pour la troisième fois au centre de ses films la thématique de l’émancipation ou de la rébellion des femmes, vivant dans un monde d’homme. Les renversements des rapports de force se manifestent par l’ingéniosité des personnages, qui se trouvent maîtres de la situation par moments, et inversement dominés lorsque leur plan se retourne contre eux. Echapper à l’enchaînement du mariage et à l’autorité patriarcale, sont ici les portes du bonheur, que cherchent bon nombres de femmes dans le monde actuelle. Après sa fameuse trilogie de la vengeance, Chan-wook vient peut être de signer une nouvelle trilogie : Lady Vengeance, Stoker, Mademoiselle ; cette fois-ci féministe.

Loupio
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le 24 déc. 2016

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