Sa beauté irradie, son charme fascine. Sa voix posée et monocorde, lors de ses lectures troublantes, ensorcelle. J'ai posé les yeux sur Mademoiselle pour immédiatement en tomber amoureux. Elle est pourtant indolente, semble mélancolique et vide, comme si sa propre vie ne l'animait plus. Quand elle enlève ses gants, ses petites mains sont froides, comme celle d'un cadavre. Ses grands yeux noirs sont, eux, ouverts sur quelque chose d'incertain, qu'elle seule semble voir, comme le corps de sa tante, pendue à la branche la plus forte d'un cerisier.
Cela a commencé par des regards, des mains qui se frôlent, un sourire à peine esquissé. Son corps nu a troublé la surface de l'eau de son bain d'ondes qui ont résonné en moi, après l'avoir déshabillée, après que mes doigts aient déboutonné son vêtement et se soient perdus dans les lanières de son corset. Ils ont ensuite caressé sa peau have de porcelaine et finement veinée de bleu. Le goût acide et fruité de la sucette que je lui ai offerte parfumait sa bouche et ses lèvres. Un de mes doigts s'y est ensuite insinué, longtemps, dans une image tout ce qu'il y a de plus équivoque. Nos regards se sont confondus et le désir naquit : j'étais tombée sous le charme de Mademoiselle. Victime ingénue d'une machination diabolique et cruelle. Poupée dans mes bras que l'on manipule comme une enfant qui n'aurait pas grandi et que l'on a pourtant envie de protéger.
Le soir venu, j'ai initié Mademoiselle à la douceur des amours qui lui semblaient jusqu'ici inconnues, mise en scène par un Park Chan-Wook qui, comme moi, a insinué ses doigts au seuil de la porte de jade entrouverte de l'imagination et des fantasmes de ses spectateurs. Sans jamais, cependant, en devenir obscène ou pervers dans nos ébats. Non, le plus obscène, c'est la machination trop bien huilée, les intentions des protagonistes les plus cyniques. Le plus pervers, ce sont les fils de l'intrigue tissés comme une araignée tisse sa toile, de manière régulière et méthodique, pour prendre au piège sa victime ainsi que celui qui se laisse sombrer avec délice dans la dernière oeuvre de son réalisateur surdoué.
Mademoiselle, sous mes doigts, a la peau douce d'une adolescente, sa poitrine frêle, le sein fragile qui se dresse sous la caresse. Sa peau exhale un doux parfum au goût de poison délicat de la manipulation, ensorcelant dans ce qu'il peint à l'écran, cruel dans ses jeux pervers et dans sa manière de les renvoyer à l'écran. Son parfum est aussi délicieux, tout aussi fruité que sulfureux. Ses lèvres sont pleines et se dessinent dans des soupirs. Les sourires qui peuvent s'y poser sont rares, mais cependant présents, comme si Mademoiselle prenait par instant conscience que tout ceci n'est qu'une farce sous la caméra de Park Chan-Wook.
Tout cela avant que Mademoiselle ne lance un dernier regard, à la porte d'un hôpital psychiatrique. Avant qu'elle ne dessine l'envers du décor et détricote son écheveau scénaristique. Comme si elle dessinait sur l'envers d'une estampe japonaise pour en faire affleurer d'autres détails minuscules, d'autres éléments nécessaires à la compréhension de l'oeuvre. Ce que Mademoiselle peignait sur la toile, lors de cours de dessin, se révèle bien imparfait et gribouillé dans un coup de crayon rageur.
Son innocence s'efface alors subitement des ravissants traits de son visage alors qu'elle entame des lectures pleines des fantasmes de plus ou moins vieux messieurs qui prennent du plaisir dans la douleur, dans l'art d'un érotisme pervers et dévoyé. Mademoiselle entre dès lors de plein pied dans la duplicité pour renverser les perspectives de son récit, continuant de mettre en scène ce qui, jusqu'ici, avait été laissé hors-champ, ce qui est vu à travers un buisson ou de l'autre côté d'une fenêtre, entendre ce qui est verbalisé.
Mademoiselle manipule de manière délicieuse et douce. Au point de faire passer ses quelques deux heures vingt comme un souffle, celui que j'ai senti sur ma peau, quand ses doigts froids l'ont caressée. Le même qui a porté ma voix faible, quand j'ai murmuré, à la fin de la séance : "Une fessée, s'il vous plaît".
Elle s'est révélée purement cinématographique, je vous rassure.
Behind_the_Mask, nippon fripon.