Derrière ce titre très pompeux, je vous l'accorde, je voudrais vous montrer à quel point Mademoiselle représente à la fois un hommage et une fresque que l'on pourrait presque qualifier "d'historique" sur l'érotisme asiatique.
Aujourd'hui, début 2020, nous parlons énormément du cinéaste coréen Bong Joon-Ho et de son monstre filmique : Parasite. Ce film vient en effet de marquer l’histoire du cinéma coréen de par son immense succès public, mais surtout de part son obtention de la Palme d'Or au Festival de Cannes, et également grâce à ses quatre Oscars (meilleur film en langue étrangère, meilleur scénario original, meilleur réalisateur et enfin meilleur film). Nous ne pourrons que dire que Parasite a absolument tout écrasé sur son passage. Le cinéma coréen était de base extrêmement bien réputé, bien que toujours réservé à une certaine sphère cinéphile, il est maintenant évident que ce cinéma est destiné à conquérir le grand public. Il me semble donc bon de parler des plus grandes réussites cinématographique de Corée du Sud.
Bong Joon-Ho fait en fait partie d'un trio de réalisateurs sud-coréens avec Kim Jee-Woon (J'ai Rencontré le Diable, A Bittersweet Life, 2 Soeurs) et Park Chan-Wook. Connu pour Joint Security Area mais surtout pour sa trilogie sur la vengeance et principalement le chef d'oeuvre Old Boy qui remporte le prix du jury à Cannes en 2003 et qui est aujourd'hui culte.
Mademoiselle sonne un peu comme un retour de Park Chan-Wook, car c'est son premier film pour le cinéma qu'il réalise en Corée du Sud. Trois années avant cela, il avait réalisé Stoker pour les américains et donc se retrouve assez différent de son style habituel (il s'agit d'ailleurs d'une oeuvre que je n'aime tout simplement pas).
En ce qui concerne le résumé (aucun spoiler ne sera présent dans ce texte), Mademoiselle nous situe en Corée du Sud sous la domination nippone des années 30. Une jeune femme se retrouve engagée comme servante d’une riche japonaise, dame Hideko, laquelle vit recluse dans un immense manoir sous la coupe d’un oncle tyrannique. La jeune servante obéit au personnage de l'oncle tout en assistant à divers jeux pervers auxquels elle ne doit pas céder. Elle constate que l'oncle en a après la fortune de dame Hidako. Restons)en là pour les éléments précis du scénario.
Le film se découpe en trois actes et nous propose de suivre ce trio de personnages atypiques à travers le somptueux manoir composant le décor principal du long-métrage. Nous découvrirons ainsi trois regards sur le récit , modifiant notre perception des caractères et des événements petit à petit. Chaque élément du récit est brillamment construit et offre une histoire remplie de brumes et de faux-semblants et où il faut se méfier des apparences. Le cinéaste conçoit un conte à la fois érotique et tragique qui tiendra le spectateur en haleine jusqu'aux derniers rebondissements du long-métrage.
Le film parle de sexualité, de ce qu'elle a d'interdit et de secret, mais également de perversion. Comme dit précédemment, le long-métrage fait énormément écho au thème de l'érotisme de façon explicite. Park Chan-Wook propose une vision très représentative de cet érotisme en tant que tel, il nous en parle comme d’un sujet historique mais également culturel. Nous assistons à des scènes/phénomènes explicites éveillant le désir sexuel entre les personnages. Dans un entretien donné pour le journal "Le Monde", le cinéaste dira avoir voulu avec Mademoiselle "raconter une quête du plaisir féminin".
Le film explore le domaine culturel du sujet, et cela à travers diverses représentation (tableaux, sculptures, livres/lectures…). L'érotisme est historiquement assez lié à la culture asiatique, d'ou sa place au sein du film. Le réalisateur explore et maîtrise complètement son sujet, offrant un film faisant parfois penser à un cinéma érotique bien plus ancien. Il fait ainsi référence non seulement à l’histoire de son pays, l’histoire culturelle ainsi que l’histoire du cinéma asiatique et sa production érotique (L'Empire des Sens...). Park Chan-Wook parvient à ne jamais s'emmêler dans ses différents sujets, nous offrant une oeuvre maîtrisée, un objet filmique n'ayant finalement besoin que du temps pour être qualifié de chef-d'oeuvre.
S'inspirant d'une certaine forme de Pinku eiga (appellation d'un roman pornographique japonais), Mademoiselle est un conte érotique fascinant, contenant parfois une noirceur dérangeante. Park Chan-Wook exploite à merveille le concept de la perversion à travers ses personnages, les situant entre le mensonge et la sincérité. La libération sexuelle, ainsi que celle du patriarcat, sont centrales au film, mais nous pourrions également y voir un message pour exposer qu'au)delà de notre statut social (riche ou pauvre), nous partageons une certaine forme d'égalité. Le pouvoir offert par la richesse et la classe à laquelle nous appartenons ne serait alors qu'illusoire.
Les séquences à caractère érotique, sans les dévoiler, sont d'une beauté hallucinante. Rares sont les cinéastes arrivant à offrir des séquences du genre à la fois aussi explicites et offrant en même temps un apport esthétique et artistique parfaitement maîtrisés.
Nous pourrions continuer en parlant des actrices et acteurs absolument incroyables, des décors, de la photographie ou des splendides compositions de Jo Yeong-Wook (compositeur habitué du cinéaste qui nous offre ici l'un de ses meilleurs travaux), mais cela sonne tellement comme une évidence qu'il est compliqué d'agir autrement que dans l'admiration envers l'oeuvre qui nous est présentée.
Il s'agit, à mon sens, de l'un des meilleurs films du réalisateurs, après son Old Boy et qui a le mérite de ne ressembler à aucun autre, malgré ses influences évidentes. Finalement, Mademoiselle est parfait pour notre vision occidentale du sujet. Quelque part, malgré son retour au bercail, le cinéaste offre un film destiné à être peut-être vu par d'autres cultures que la sienne. Cet objet vous occupera probablement longtemps l'esprit après son visionnage et me semble parfait pour découvrir le cinéma sud-coréen.
Park Chan-Wook est l'un des maîtres absolus du cinéma sud-coréen et il est évident qu'il va encore le rester pour un bon moment.