Le film d'espion, ancêtre du film noir...
Dans le film noir, le héros est déchiré entre deux mondes qui s'opposent et ont leur règles propres : la loi ou le crime. Ce film, à travers une intrigue d'espionnage, traite des mêmes problèmes, même s'il se donne pour un film de guerre situé dans le milieu de l'espionnage.
L'intrigue est riche en rebondissements, double-jeux, sous-entendus, assortis de dénouements tragiques. Le film réussi bien à montrer comment ces espions vivent sans cesse sur la corde raide. Pour résumer : pendant la première guerre mondiale, un espion allemand, Léo/Coudoyan (P. Blanchar) se fait prendre par le contre-espionnage français à Salonique, alors que la France songe à y faire débarquer une force importante. Retourné, il commence à donner les espions allemands de Salonique. L'Allemagne envoie sur place une espionne allemande, Mademoiselle Docteur (Dita Parlo), qui se fait passer pour une journaliste américaine et s'amourache d'un jeune lieutenant français, Carrère (Fresnais). Avec l'aide de l'agent local (Jouvet), elle tente de récupérer le plan de l'attaque française à venir et de le faire passer vers l'Allemagne. Coudoyan, qui devrait la donner aux Français, tombe amoureux et lutte pour se sortir de ce sac de noeuds.
Les espions sont tous des professionnels froids et habiles (la scène où l'héroïne fait semblant de s'être foulé le pied pour éloigner le réceptionniste et écouter au téléphone de l'étage, qu'elle a laissé décroché, est très forte). Le personnage de Léo, mais aussi celui de l'espionne, sont fort attachants. Jouvet, avec sa voix d'outre-tombe, campe le professionnel parfait (belle scène où il court transmettre quelques mots au téléphone, puis est pris dans un projecteur puis dit calmement "Messieurs, je suis à votre disposition"). Les éclairages sont superbes, on sent la patte expressionniste, mais avec nuances. Si les décors d'intérieur semblent un peu générique, le gourbi dans lequel vit Jouvet évoque des gravures romantiques. Très peu de prises de vue de Salonique, en revanche, sinon une scène sur le port très rapide.
La mise en scène est nerveuse et le rythme étonnamment rapide pour un film de l'époque (ça devait donner un peu l'impression effrennée d'un "Time and Tide"). Bien sûr, il faut accepter la diction française de l'époque, et un côté un peu étriqué (film d'espionnage dans des salles d'ambassade aux beaux lambris et aux canapés Louis XVI). On a l'impression que la couverture de l'espionne comme journaliste consiste à aller à des réceptions avec petits fours, et les tarbouches pour faire oriental feront un peu sourire. Les numéros de cabaret sembleront très désuets. Le seul vrai point faible est pour moi l'épilogue un peu bâclé (poursuite en voiture - accident - FIN).
Derrière son côté un peu désuet, "Salonique nid d'espions" est un film d'espionnage nerveux, fluide, sombre et élégant.
Vu au Desperado. Merci à la dame dans la queue de l'Action Christine qui m'a dit de mémoire le bon cinéma (je m'étais gourré).