Maestro
5.9
Maestro

Film de Bradley Cooper (2023)

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A star is born, qui marquait le passage de Bradley Cooper à la réalisation, lorgnait déjà du côté de l’âge d’or Hollywoodien : remake d’un classique déjà multi-adapté, ample incursion dans les coulisses du show-business pour aller traquer les failles des artistes sans jamais nier la grandeur de leur œuvre, tout en faisant la part belle aux comédiens… Maestro reprend exactement les mêmes ingrédients en accroissant l’ambition du réalisateur déjà respecté par ses pairs. La vie de Bernstein lui permet ainsi un récit étendu sur 4 décennies, assorti d’une plantureuse reconstitution et d’un écrin pour sa propre prestation en compositeur habité, tandis qu’il offre, comme il l’avait fait pour Lady Gaga dans son précédent film, un rôle en or pour Carey Mulligan, chargée de jouer son épouse.


Maestro, qui fleure un peu trop l’autoportrait fantasmé, a donc tout du candidat à la moisson d’Oscars. Les comédiens se donnent sans compter, les maquillages et les effets de vieillissement seront largement commentés, et Cooper prend soin de franchir un nouveau cap en termes de mise en scène. Les trois premiers quarts d’heure, en format 4/3 noir et blanc, voient le réalisateur s’offrir son Mank à lui, avec un sens dynamique et un art des transitions formelles assez remarquable, avant un passage à la couleur et un changement de format aux utilisés plus discutables, et un travail esthétique qui tend à s’essouffler sur la longueur.


Mais c’est évidement sur le portrait intime que Cooper veut s’étendre, par cet angle très de l’air du temps consistant à décaper les légendes et s’affranchir des attendus académiques du biopic. Sur ce point, on pourra établir quelques parallèles avec le récent Napoléon de Ridley Scott : la phrase de Josephine « You are nothing without me » trouve ainsi son écho dans celle de Felicia « You don’t even know how much you need me, do you ? », et renforce cette lecture par l’intime au point de passer sous silence ce qui fait le génie de l’homme dont on raconte pourtant la vie. Cooper considère ainsi que faire de la BO la musique du compositeur suffit à son portrait -jusqu’à, par exemple, un accompagnement totalement lunaire de celle de West Side Story sur l’arrivée d’une voiture dans sa propriété et vidage des courses du coffre. L’acteur s’efforce certes de mimer à la perfection la gestuelle du chef d’orchestre dans de longues et impressionnantes scènes de conduction – mais là aussi, le fait d’ajouter au générique de fin des images d’archive, en forme de preuve sur la performance mimétique a tout du CV envoyé à l’Academy of Motion Pictures Arts and Science.


A l’exception d’une scène assez intéressante, mais trop brève, où le chef instruit un apprenti sur la façon de diriger ses musiciens, le film passe sous silence le rapport du compositeur à la musique, se concentrant sur la solitude du génie riche à millions, tiraillé entre l’amour pour sa famille et la tentation pour les jeunes hommes qui continuent de lui faire tourner la tête. Le sujet n’est pas dénué d’intérêt, et, surtout, plutôt bien maîtrisé par Cooper qui évite la niaiserie tire larme, dans quelques séquences d’une belle intensité, dont cette dispute en plan fixe dans un appartement cossu de New-York dont les baies vitrées donnent sur la parade de Thanksgiving.


Les grands hommes furent avant tout des hommes, et, presque toujours, secondés par des femmes restées dans l’ombre : cette indéniable vérité devient le sujet presque unique d’un film qui met la maestria promise par le titre au service d’un travelling vers un pyjama et une brosse à dents laissés sur le seuil d’une porte d’hôtel pour enjoindre un mari volage de ne pas rejoindre le lit conjugal, plutôt que sur ce qui permit à ce même homme de rejoindre les grands noms de la musique du XXème siècle. C’est un choix.

Sergent_Pepper
5
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le 21 déc. 2023

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