L'impact de Dirty Harry et ses conséquences

A la fin de Dirty Harry, le personnage éponyme jetait symboliquement son badge à l'eau. Ca ne l'a pas empêché de revenir au cinéma 2 ans plus tard, avec Magnum force, assurément grâce au succès du premier film et de la popularité du personnage. Et dans cette suite, on ne fait même pas mention d'une quelconque démission ou renvoi d'Harry.
Il faut croire que l'arme du protagoniste a aussi laissé un sacré impact, puisque cette fois c'est elle qui donne au film son titre, et on lui fait l'honneur d'illustrer tout le générique de début.

Dans la saga de L'inspecteur Harry, chaque nouveau film présente une intrigue qui sert à définir toujours un peu mieux le héros. Celui-ci ayant été jugé fasciste suite au premier film, Magnum force rectifie le tir en essayant de rendre plus claire la prise de position d'Harry Callahan.
Il le dit d'ailleurs lui-même à un moment : "I'm afraid you've misjudged me".
Dans Magnum force, Harry est assigné à des boulots de surveillance, afin d'éviter de sa part toute brutalité policière. L'ironie veut que dans un même temps, des policiers anonymes assassinent des criminels présumés.
Ces policiers sont comme Harry, si ce n'est qu'ils dépassent certaines limites. La principale différence est que ces "vigilantes" tuent quelques innocents au passage. Je trouve dommage que les scénaristes n’aient pas trouvé mieux comme distinction, c’est trop facile, et ça n’aide pas à légitimer la justice expéditive d’Harry et à faire comprendre dans quels cas elle est applicable.
Et quand le film essaye de défendre le point de vue d’Harry et d’un de ses collègues, on se rapproche dangereusement de ce que je reprochais au film Cobra (proposer pour unique solution l’élimination ou incarcération définitive des criminels).
Je pense qu’il aurait été essentiel qu’au moins à un moment dans les dialogues, Harry fasse une distinction entre différents types de criminels ou de situations, qu’on comprenne bien que pour lui tuer n’est pas un automatisme. C’est probablement ce qu’il faut comprendre quand le héros, vers la fin du film, défend le système judiciaire malgré ses défauts, mais ça n’est à aucun moment dit clairement. D’autant plus que dans ce film-ci, on ne voit que des situations où Harry arrête un criminel en lui tirant une balle, alors que dans le premier film, il faut noter qu’il pouvait épargner une vie quand c’était possible.
Heureusement, il y a tout de même quelques propos pertinents dans Magnum force, comme ce constat d’un flic désabusé, "A hood can kill a cop, but let a cop kill a hood…", et surtout cette réplique d’Harry : "Nothing wrong with shooting, as long as the right people get shot".

Pour en revenir aux policiers meurtriers, le réalisateur s'efforce à chaque fois de cacher leur visage, mais il n’y a quasiment aucun doute sur leur identité pour le spectateur. Au poste de police, Harry fait la connaissance de 4 nouveaux policiers tireurs d’élite, qui circulent à moto… comme les criminels. Je ne pense pas qu’on puisse envisager que ce soit un hasard.
Le suspense dans Magnum force est à chercher ailleurs : on se demande comment Harry Callahan va gérer le problème. On imagine un certain tiraillement en lui : ces jeunes recrues ont l’air au premier abord innocents et aimables, on ressent de leur part une certaine admiration pour Harry, et de son côté du respect. Et il est rare de voir Harry Callahan amical…
Il est probable aussi que Magnum force, pour contrer les critiques envers Harry, ait cherché à rendre le personnage plus sympathique. C’est du moins ce qui m’est venu à l’esprit en voyant cette scène où on le voit avec quelques enfants.
En revanche, je trouve que cette suite trahit la caractérisation du personnage dans la représentation de sa vie privée.
Dans un des bonus du DVD du premier film, plusieurs intervenants, y compris Eastwood, décrivaient Harry comme quelqu’un de solitaire, pas un homme à femmes.
Et pourtant, dans Magnum force, deux femmes lui sautent dessus. J’y vois là l’influence de certains films sexistes d’Eastwood, comme "Un shérif à New York" en 1968 (plus tard il y aura le tout aussi médiocre "La sanction", en 1975). On retrouve dans Magnum force ces femmes à la psychologie débile qui, sans qu’Harry n’ait à faire ou à dire quoi que ce soit, sortent de nulle part des répliques comme "Do you think I’ll ever get laid ?" ou "What does a girl need to do to go to bed with you ?". Elles sont réduites à un statut d’objet sexuel ou de laquais, l’une d’elles étant présente, nue, dans le noir, prête à passer au lit, quand Harry rentre chez lui, et lui proposant plus tard, de sa propre initiative, de ramener des bières et de passer prendre le courrier. Ce sont les deux seules scènes où l’on voit cette femme, qui finit d’ailleurs un peu malmenée par Harry, sans à aucun moment protester.

Autrement, Harry reste assez fidèle à lui-même : il a des répliques mémorables, et des opportunités nouvelles et originales de faire preuve d’insubordination.
Il y a cette scène à la fois tendue et comique où le héros doit s’improviser pilote, à bord d’un avion détourné par des terroristes.
Et pour perpétuer cette tradition des partenaires malchanceux d’Harry, il y a un nouveau coéquipier qui cette fois, en plus, est black. On est d’emblée en droit de penser qu’il va mal finir… Mais ce qui est intéressant, c’est que le film décide de ne pas en faire une simple victime, ni de contourner la question taboue du racisme, et inclut ce thème dans une scène marquante où le personnage fait preuve d’une certaine dignité.
Il y a quand même quelques scènes intelligentes, à l’instar de celle sur le champ de tir, malgré les défauts de scénario que j’évoquais.
Les auteurs de cette suite sont pourtant Michael Cimino et John Milius, rien que ça. Le réalisateur, Ted Post, est moins connu, mais je trouve ici sa mise en scène inspirée. Il y a de beaux plans et de bonnes idées de cadrages, par exemple lors de la première apparition du groupe de jeunes recrues. Ils encadrent Harry, l’écrasent, donnant ainsi déjà un sentiment d’oppression, avant même qu’ils ne soient identifiés comme une menace.
Les scènes d’action, peu nombreuses, ne sont pas aussi dynamiques que ce qu’on verrait aujourd’hui, mais sont assez efficaces, là aussi grâce à certains choix de mise en scène (comme ce plan qui filme Harry de dos, tandis qu’il essaye de tirer sur un braqueur qui se cache dans les allées d’un magasin).

Magnum force est probablement la suite la plus connue de Dirty Harry, mais aussi celle que j’aime la moins. Et pourtant, elle a ses qualités. Il me reste à revoir les autres suites pour savoir si mon avis reste le même.
Wykydtron IV

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