Cela faisait longtemps maintenant que le personnage de Jules Maigret n’avait plus paru sur grand écran, en France depuis Maigret voit rouge, de Gilles Grangier, en 1963 et à l’étranger, depuis une production autrichienne, Maigret fait mouche, réalisée par Alfred Weidenmann en 1968. Plus de cinquante années donc, durant lesquelles le célèbre commissaire était devenu un personnage de séries télé (sous les traits successifs de Jean Richard, Bruno Cremer ou Rowan Atkinson, pour ne citer que les exemples les plus marquants). Aussi, le retour de Maigret au cinéma est, en soi, un événement.

Et confier le rôle de Maigret à Gérard Depardieu est, à la fois, une évidence et une prise de risque. Une évidence car le talent de l’acteur, mais aussi sa carrure, son charisme et sa présence à l’écran semblent taillés pour ce rôle. Une prise de risque également, tant on sait que l’acteur peut glisser dans le trop, la surabondance, voire l’excès, tout ce qui est contraire à l’atmosphère des romans de Simenon.

Force est d’admettre qu’ici, l’acteur retrouve son talent fin, subtil. Depardieu incarne un formidable Maigret, humain et à l’écoute des autres. Il sait à la fois occuper l’écran tout en restant sobre et sans en faire trop.

Comme l’indiquent aussi bien le titre que l’affiche, Maigret est au cœur même du film. Plus qu’une enquête, c’est un enquêteur que l’on va suivre. Un Maigret crépusculaire et sombre, souvent montré seul. Un personnage épuise, au bord de la fêlure. Dès sa première apparition, le commissaire montre sa fatigue. Une fatigue plus psychologique que physique, d’ailleurs. Et on aura, tout au long du film, un Maigret qui montre des signes de faiblesse : il est souvent assis, il a du mal à monter des escaliers, etc. Un Maigret surtout psychologiquement atteint : il mange peu, il ne fume plus (prescription médicale oblige), et il est préoccupé par l’affaire en cours.

Une affaire bien étrange. Une jeune femme de 18 ans est retrouvée morte, lardée de coups de couteaux. Elle n’a aucun papier, ne correspond au signalement d’aucune disparue. En bref, une inconnue totale, et la première partie de l’enquête consistera à chercher l’identité de la victime. Une enquête qui touchera Maigret personnellement, puisqu’elle lui évoquera sa fille morte qui aurait eu le même âge.


Commence donc une de ces enquêtes typiques de Maigret, qui ne ressemblent pas aux investigations auxquelles nous sommes habitués. Simenon se défendait d’écrire des romans policiers, et son Maigret n’a pas les méthodes habituelles des policiers. Chercher des empruntes, localiser des indices et des témoins, mener des filatures : autant d’actions étrangères à l’univers du célèbre commissaire. Maigret marche à l’intuition et à l’écoute. Il discute, sur un ton de bavardage :

« Comment faites-vous pour qu’ils parlent, vos suspects ?

_ Rien. Je les écoute. »

Et c’est cela, la méthode Maigret. Une immersion dans la vie des personnages, des victimes, des suspects, etc. Le commissaire s’imprègne de l’atmosphère, soupèse la dimension sociale, évalue de poids familial. Ça ressemble tellement peu aux méthodes policières habituelles que peu de gens le prennent pour un commissaire, et n’apprennent son identité que bien tard. Cela fonctionne d’autant plus, ici, que la victime lui tient à cœur (elle et ses semblables, comme Betty, qu’il va protéger).

La façon qu’a le film d’explorer cette attitude humaine et empathique montre à quel point Patrice Leconte a tout compris à Simenon. Son Maigret est totalement imprégné de l’atmosphère si caractéristique des romans de Simenon.

Leconte réussit d’autant plus son film qu’il sait s’arrêter sur les bons détails. Certes, la reconstitution du Paris des années 50 est soignée, mais jamais le réalisateur n’insiste là-dessus pour en faire une parure de son film : il s’agit d’un décor dans lequel se déroule le plus important : la rencontre de Maigret avec les autres personnages, la plongée dans des situations sociales très diverses, depuis la « bonne société » parisienne jusqu’aux foyers pour jeunes filles ayant quitté leur province et étant happées par le rêve d’une vie meilleure à la capitale. C’est toute une réalité peu reluisante que Maigret découvre avec empathie.

Aux côtés de Depardieu, l’ensemble de l’interprétation est d’un très bon niveau, toujours d’une grande justesse. L’ensemble de l’aspect technique est très réussi également, et il faut signaler la grande qualité des dialogues du film, remplis de répliques qui font mouche (la tirage de Maigret sur les « enquêtes à bière et les enquêtes à blanc », par exemple) tout en restant apparemment simples et naturelles.


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le 19 juin 2022

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SanFelice

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...de canard.

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