Le titre assez évocateur annonce une dénonciation en règle d'un acte politique, la loi Gayssot, qui a criminalisé une page d'histoire, le génocide des juifs. Au nom de cette loi, des personnes ont été jusqu'à cette année encore incarcérées par l'état français, ce qui fait d'elles des prisonniers d'opinion, chose normalement impensable dans un régime démocratique comme la France. C'est, je crois, le cas d'Ahmed Moualek dont la condamnation à cinq ans fermes, en 2021 sous Edouard Philippe a été tue par les medias français, ainsi que sa libération au 1er juillet 2024. On peut y voir un signe du malaise qui entoure la société française autour de ce cas exceptionnel de prisonnier politique.
Main basse sur la mémoire nous livre les opinions d'intellectuels français et non-français de gauche comme de droite opposés à cette loi, dont plusieurs affiliés à la communauté juive. Béatrice Pignède, journaliste décédée 3 ans après ce documentaire, organise ses entretiens en trois temps inégalement répartis, après une première et provocatrice minute et demi consacrée à Faurrisson : la dénonciation de l'illégitimité morale de la loi Gayssot, puis une courte attaque argumentaire sur le négationnisme (comprenant une évocation incongrue et désormais surannée du réchauffement climatique) et finit sur la stigmatisation des "communautarismes".
L'ensemble baigne dans la sève essentialiste du nationalisme français de manière tout à fait cohérente. Pour résumer à l'envers du processus argumentaire du film : la France est nationale, donc elle ne doit pas tenir compte des identités communautaires, donc la loi Gayssot est inconstitutionnelle.
La doctrine nationale et républicaine porte évidemment ses propres contradictions culturelles et linguistiques datant de 1792, mais Béatrice Pignède choisit prudemment de ne pas les aborder pour ne pas mettre en péril sa démonstration. Comment en effet nier les communautés identitaires sans parler de la communauté identitaire... française ? Il y a par ailleurs une courte séquence où la caméra, sur un simple fond musical, passe sur un monument républicain, du texte en bas-relief "Liberté" à celui de "Fraternité", sans montrer celui qui dit "Egalité". On comprendra qu'il est difficile d'accorder l'égalité des droits quand la constitution française, dès son article 2, tout en proclamant la devise "Liberté, égalité, fraternité", admet l'inégalité des citoyens de la république en ne reconnaissant que la langue française, alors que plusieurs langues y vivent, dont plusieurs bien plus anciennes que le français.
L'ensemble du documentaire est très intéressant. La réflexion de Paul Ricoeur autour de la place de la mémoire dans notre civilisation contemporaine à 1'09"34 est particulièrement bien venue. Ce précieux film que tout le monde devrait avoir vu avant de prononcer un avis sur la loi Gayssot est disponible sur YT : https://youtu.be/7IgrU5IA614