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Alors que Le Procès Goldman est encore à l’affiche, Cédric Kahn enchaîne déjà avec un nouveau projet consacré cette fois au monde du cinéma : Denis Podalydès y incarne un réalisateur qui semble bien...
le 13 janv. 2024
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Y a-t-il une si grande différence entre les uns et les autres ? La question vient forcément à l'esprit, quand on voit le dernier opus de Cédric Kahn. Ceux qui travaillent dans et pour le Septième Art ne sont-ils pas, au fond, des sortes d'ouvriers qui, plus ou moins comme les autres, subissent la loi du Grand Capital ? Si je pose la question, c'est que le film de Kahn fait un peu le parallèle entre "ouvriers" de la grande industrie et "artistes" (comédiens et techniciens) de cette... industrie particulière qu'est le Cinéma.
Plutôt que de s'appesantir sur ce point particulier, passons à la conception de Making of, à sa structure d'ensemble. Ses moments les moins captivants sont ceux durant lesquels on est complètement dans le film en train d'être tourné, autrement dit : dans l'histoire de ces ouvriers qui, pour éviter que leur usine soit délocalisée en Pologne, s'emparent de celle-ci, se mettent en grève, interdisent son accès aux forces de l'ordre et, résistant aux "suppôts" du capitalisme, décident de s'auto-gérer. Comme ce film (Les Ouvriers) est en cours de tournage, on ne voit de cette histoire que des bouts, des bouts éparpillés dans la durée (1 heure 54) de Making of et comme on suit sa fabrication progressive (dans un processus de métacinéma), on n'est jamais vraiment pris par cette histoire, ni par le drame que ces ouvriers sont censés vivre, puisqu'on a complètement conscience que c'est un produit cinématographique en cours de fabrication. Mise bout à bout, cette partie-là est quand même relativement longue et représente un peu des temps morts ou, du moins, mornes. Voir Jonathan Cohen, dans le rôle du chef des ouvriers révoltés, haranguer ceux-ci, les inciter à tenir face aux patrons et autres représentants du capital, c'est vite lassant. Déjà il surjoue (c'est une intention du scénario, mais Cohen en fait des tonnes), mais surtout il ne correspond pas à l'homme qu'il personnifie : il est trop bien nourri, il n'a ni le visage, ni le corps d'un pauvre (c'est un peu comme si on demandait à une Josiane Balasko trentenaire d'incarner Jeanne d'Arc).
Ce qui est mieux, c'est de voir les coulisses du film en train d'être tourné. Toute cette dimension-là, le making of de Les Ouvriers, est sympa et intéressante. On sent que Cédric Kahn (trente d'ans d'expérience dans la réalisation) a plein de choses à dire à ce propos. C'est drôle, enlevé, habilement raconté, avec les développements et les ellipses exactement là où ils doivent être. Difficile d'en dire plus sur cet aspect du film, sans trop en divulguer... Le réalisateur du film en tournage (Denis Podalydès, pas mauvais) et la directrice de production ou trésorière du film qui gère les dépenses au jour le jour exigées par le tournage (Emmanuelle Bercot, excellente) sont assaillis par les difficultés. Surtout au niveau du financement du film, mais aussi au niveau de la distrib/casting et de l'équipe des techniciens. Pour ne rien dire des problèmes personnels des uns et des autres, ainsi que de la vie quotidienne de chacune des personnes impliquées dans le film en train de se faire... à supposer qu'il aille jusqu'au bout, parce que, certains producteurs se retirant du projet (pour un désaccord au niveau du scénario, qu'ils jugent trop sombre, pas assez divertissant), vient le moment où l'argent manque et où les techniciens et figurants payés à la journée ou à la semaine ne peuvent plus continuer parce que, vivant au jour le jour, ils ont absolument besoin d'un salaire journalier ou hebdomadaire qui tombe régulièrement.
Le casting ne manque pas de noms connus et ces acteurs se débrouillent, mais ils ne sont pas forcément éblouissants. Pour moi, les deux meilleurs sont Emmanuelle Bercot, hyper crédible dans son rôle de femme de tête stressée (parce que, gérant les moindres dépenses du film en cours de tournage, elle le sait en cessation de paiement imminente si un producteur de remplacement n'est pas trouvé) ; et Xavier Beauvois, dans un rôle dont je n'ai pas encore du tout parlé : Marquez, qui fait le lien entre le réalisateur (& sa directrice de production) et les sources de financement possibles de leurs projets filmiques, et qui est donc le 3ème angle du triangle humain Podalydès / Bercot / Beauvois sur lequel repose le film en cours. Dans la composition de son personnage, Beauvois est aussi crédible que Bercot.
Denis Podalydès, dans le rôle de Simon, le réalisateur, est égal à lui-même : plutôt bon (dans le genre nounours faussement endormi).
Jonathan Cohen n'est pas hyper sympathique dans un rôle pas hyper sympathique : la vedette masculine du film en tournage, dont l'énorme ego (il veut être au centre de toutes les scènes) est inversement proportionnel au talent.
Et puis il y a un jeune couple. 1. Nadia (Souheila Yacoub), l'héroïne féminine du film Les Ouvriers ; elle pète un câble parce que l'acteur personnifiant le "leader des ouvriers révoltés" (et joué par Jonathan Cohen) lui bouffe toutes ses scènes ; puis elle tombe peu à peu amoureuse de 2. Joseph (que joue, plutôt bien, Stefan Crépon), un jeune stagiaire remarqué par le réalisateur Simon/Podalydès qui lui confie le making of de son film Les Ouvriers. Leur histoire (qui devient une histoire d'amour) est un des fils principaux du film de Cédric Kahn. La vie sentimentale de Simon en est un autre. Les rapports téléphoniques entre la trésorière/Bercot et le producteur Marquez/Beauvois : un troisième.
J'ajoute que le casting des seconds rôles, des tout-petits rôles et même de la plupart des figurants (personnifiant le groupe des ouvriers révoltés) est très bon dans son ensemble, il y a des types (par ex. Orlando Vauthier qui joue "Jules", un ahuri, supposé "fils de") ou des visages, qui accrochent l'oeil et l'intérêt.
L'opus pourrait être dramatique ; en fait, il est drôle : la salle rit souvent aux réparties des uns et jeux de scène des autres. Bien que dans la lignée de pas mal d'autres films, dont La Nuit américaine de Truffaut ou Prenez garde à la sainte putain de Fassbinder (voire, toutes proportions gardées, Huit et demi de Fellini), je l'ai trouvé très instructif, intéressant et habilement monté.
Bref, quand on aime le cinéma, on peut difficilement ne pas aimer Making of.
Dans l'avant-dernière scène du film, Simon / Denis Podalydès, complètement vidé par les péripéties du tournage, avoue à Marquez / Xavier Beauvois qu'il ne fera plus jamais de film de sa vie, et Marquez lui rétorque : Penses-tu ! Je n'te donne pas six mois avant que tu en refasses un autre. Nous, on est de ceux qui meurent en plein travail, en plein tournage. On ne quitte pas le cinéma : c'est une drogue dure.
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le 17 janv. 2024
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