A l’image de la saison 2013 des blockbusters, Man of Steel laisse une impression mitigée. Le film de Zack Snyder aligne en effet autant de bons points que de mauvaises idées.
Le défi majeur de cette nouvelle adaptation de Superman était de moderniser un personnage créé dans les années 30 (et très lié à ce contexte) : un personnage très solaire qui, sur le papier, est si positif et surhumain qu’il en devient lisse et inhumain. Aussi, là où les précédents films s’étaient « contentés » d’envisager Superman comme un ange/dieu totalement accepté par l’humanité, Man of Steel a la très bonne idée de souligner son origine extraterrestre. Ici, Superman, de son vrai nom Kal-el, est avant tout un alien, doublé d’une arme de destruction massive vivante (du fait de ses pouvoirs). Aussi, sa présence et son action sur Terre ne peuvent être envisagées qu’avec une grande méfiance par les États-Unis, dont on connait la tendance paranoïaque à réagir selon l’équation étranger (alien) = menace potentielle. Le film de Snyder s’inscrit ainsi dans l’héritage des films d’invasion extraterrestre tels qu’on les faisait dans les années 50. Le personnage de Superman y gagne en densité et en humanité (si l’on peut dire ça d’un extraterrestre) : il devient une sorte d’apatride à la recherche de sa place dans l’univers ; d’où la ressemblance avec le début de Batman Begins. En outre, Henry Cavill s’en sort plutôt bien.
Par ailleurs, l’autre grande réussite du film est bien sûr le grand spectacle qu’il délivre. En la matière, force est de reconnaître que Snyder sait y faire. Le réalisateur de 300, Watchmen et Sucker Punch est toujours très inspiré dans la mise en scène de l’action et des corps en mouvement. Ayant le bon goût d’abandonner ici ses effets de ralentis et autres tics suresthéthisants, il privilégie le dynamisme et la vitesse. Ce qui donne lieu, en milieu de film, à une séquence de combat ultraspectaculaire (du genre qui vous décolle la pupille à chaque seconde). Mais c’est aussi là que le bât blesse.
A trop vouloir en faire, le film pêche par excès de gourmandise dans un final aussi redondant que finalement un peu écœurant. L’affrontement final entre Zod et Superman peut être résumé ainsi : Zod colle une baffe à Superman qui sous l’effet du coup défonce trois gratte-ciels avant de revenir pour lui rendre la pareille, etc., etc., jusqu’à ce que la ville ne soit plus qu’un tas de gravats et de poussière : une image du 11 septembre à la puissance 10. Où sont passés les habitants ? Snyder n’en a rien à faire. Ils doivent pourtant mourir par milliers, mais le réalisateur est trop fasciné par ses surhommes et le combat de titans qu’ils se livrent pour s'en soucier. C'est d'ailleurs surtout ça le problème, plus que la destruction massive : cette fascination pour le surhomme doublé d'un certain mépris pour le type lambda (écueil dans lequel les Spiderman de Sam Raimi, eux, ne tombaient jamais). Au milieu de ce jeux de quille qu’est devenu Metropolis, tout est égal : hommes, femmes, enfants, béton. Tout au plus, Snyder montre-t-il quelques personnages secondaires, menacés par la chute d’un immeuble, pour créer un suspens douteux. Dans Star Trek Into Darkness, J.J. Abrams lui aussi, convoquait l’imagerie du 11 septembre, mais il le faisait en en restituant la gravité et le point de vue humain. Ce qui donnait lieu à une scène terrifiante, tout à fait consciente du drame qu’elle évoquait, et qui avait du sens au sein du film. Snyder, quant à lui, ne semble considérer le 11 septembre que comme un spectacle pyrotechnique de plus, dans la lignée des films catastrophes des années 90 : des buildings qui s’effondrent dans un grand nuage de poussière et de cendres, rien de plus, sans conséquences. La meilleure preuve en est que, une ou deux scènes plus tard, la ville est comme neuve.
C’est d’autant plus dommage que le film a de bonnes intentions, qu'il bénéficie d'une belle direction artistique et de nombreuses autres qualités. Mais il trouve sa kryptonite dans le manque de mesure de son réalisateur et, dans une moindre mesure, dans l'abandon en cours de route du personnage de Loïs Lane, qui au bout d’un moment ne sert plus qu’à tomber pour être sauvée par Superman (elle le faisait aussi dans la version de Donner mais Man of Steel semblait, jusqu'à mi-chemin en tout cas, ne pas la réduire à ça). Et la superbe B.O. tonitruante de Hans Zimmer - pour qui apprécie ce mastodonte - n’y peut rien changer. Dommage.
En revanche, et pour finir, les reproches quant à l'aspect trop christique et positifs, dans le fond si ce n'est dans le traitement (qui peut être un peu lourd dans le symbolisme), du personnage non pas lieu d'être pour la simple est bonne raison que cet aspect solaire, messianique et christique est précisément l'essence du personnage. Un personnage pensé comme une sorte de mélange entre Moïse - il échappe à une terrible catastrophe frappant son peuple et arrive sur Terre dans un "vaisseau-berceau" dérivant dans l'espace en lieu et place du Nil - et de Jésus. Un Jésus qui donne des baffes au lieu de tendre l'autre joue : un Jésus façon Ancien Testament (ou Obélix) donc. Car c'est une figure de Sauveur, une nouvelle trinité (Kal-el, Clark Kent, Superman) enfantée par un nouveau Jéhovah (Jor-el) et élevé par des nouveaux Marie (Martha) et Joseph (Jonathan). La raison de tout cela se trouvant dans le fait que ce personnage a été imaginé dans une période grave crise (économique, sociale, morale...) par deux jeunes garçons de culture juive ayant eu tendance a être martyrisés du temps de leur scolarité - aujourd’hui on dirait que c'étaient des "geeks" - et qui auront alors construit leur propre symbole d'espoir avant que celui-ci ne soit adopté par toute l'Amérique (puisqu'il y a aussi, à la base, une dimension évidemment patriotique et propagandiste au personnage qui est un peu l'équivalent DC à la fois de Captain America et de Spiderman). En d'autres termes, il était tout à fait essentiel que Nolan, Goyer et Snyder respectent cet aspect du personnage. Et fort heureusement, ils l'on fait. Un superhéros sombre et torturé tel que son "cousin" Batman est peut-être plus en phase avec l'humeur de l'époque, mais Superman a sa spécificité, et il semble important de la respecter. Autrement, on produit un Batman bis. Quel intérêt ?