En cette fin d'année, à l'ombre de l'implacable machine Rogue One et des tendres films d'animation qui accompagnent les fêtes, Manchester by the Sea peine à se faire une place dans les salles obscures avec seulement 108 000 entrées lors de sa première semaine d'exploitation. Une centaine de salles tout au plus diffusent cette oeuvre en France lors de sa troisième semaine. Loin des stériles et bruyantes salles des diffuseurs franchisés, emplies de leur odeur de Pop Corn sucrées et de leur orgie publicitaire, on se tourne alors vers les cinémas indépendants discrets et remplis d'une chaleur propre aux lieux de passion. Un écrin splendide pour pouvoir retenir de l'oeuvre l'entière justesse de son tableau. Evoquons l'objet: Manchester By the Sea, réalisé par Kenneth Lonergan, peu connu du grand public, hormis pour son travail scénaristique sur le Gangs of New York du Maître Scorsese. Lee Chandler (Casey Affleck) est homme à tout faire dans un quartier de Boston. Détaché et solitaire, il est rattrapé par un passé envahissant et douloureux lorsque son frère meurt à Manchester, New Hampshire. Sobre et juste dans sa composition, Casey Affleck revêt le rôle d'un homme torturé, lavé de toute espérance de salut, quasi amimique, mais pourvu d'un magnétisme certain. Il tient ici indiscutablement la meilleure partition de sa carrière et peut prétendre sans rougir à un Oscar tellement son sujet est maîtrisé. Il impulse une profondeur remarquable à son personnage à travers sa sobriété, sa complexité, sa douleur sans cesse étouffée, sans cesse refoulée, mais omniprésente. Kenneth Lonergan insuffle à son récit des plans sublimes, des paysages immaculés et élégants, assurés par une caméra contrastant les plans fixes de dialogues oppressants avec les magnifiques excursions dans la fascinante candeur du décor mancunien. D'aucuns pourront évoquer le très discret rôle de Michelle Williams, qui tient pourtant ici, malgré les rares scènes qu'elle partagent avec Affleck, un personnage d'une tendresse et d'une sensibilité palpables. Ces rares scènes sont d'une simplicité mais d'une intensité géniale. Deux scènes sont particulièrement révélatrices du tour de force de cette oeuvre:
La première est l'interrogatoire de Chandler à la suite de l'incendie de sa maison, où l'on apprend la genèse de la torture qui gangrène son esprit. Ce plan fixe sur l'homme condamné à la destruction est ingénieusement maîtrisé. La justice humaine ne remplit aucun rôle dans la rédemption de Chandler, les policiers le laissent partir à sa grande désillusion. Sa tentative de suicide échoue. Visiblement, la justice de Dieu non plus ne lui sera d'aucune aide. Sa rédemption passera par une longue et intense souffrance symbolisée par son exil loin de ses proches, loin de sa femme, loin de sa vie en somme, laissant à Chandler un affect pauvre, une impossibilité de pouvoir converser ou d'agir socialement.
La seconde est la scène où, au décours d'une promenade, Chandler rencontre son ex-femme, qui symbolise toute la puissance du jeu des deux acteurs.
Manchester by the Sea est une oeuvre riche, délicate et intense mais tranchante par sa simplicité et sa discrétion, et n'est définitivement pas réalisé pour toucher un public large, ce qui peut expliquer le faible retour commercial, mais pour accaparer le coeur d'un petit cinéma indépendant et de ses passionnés.