Lee est un survivant, Lee est un fantôme. Plus l’humeur, plus d’avenir, plus d’envies, sinon celle de se foutre en l’air et des bastons dans des bars pour ressentir encore quelque chose ; un poing dans la gueule, le goût du sang, des ecchymoses comme des stigmates, c’est déjà pas mal. Quand son frère vient à mourir et le désigne tuteur de son fils, Lee se retrouve confronté à un passé dont il est parvenu à s’affranchir, en mille morceaux, et qu’il a fui avec obstination parce qu’il ne pouvait faire autrement. Alors le voilà qui revient dans la petite ville de Manchester-by-the-sea, dans le Massachusetts, la tête basse et le désespoir tenace, pour s’occuper de son neveu et affronter aussi le chaos, les démons qui ont pulvérisé son existence.
Kenneth Lonergan n’a visiblement pas peur de s’aventurer sur des terres archi-rebattues et lourdes d’un éventuel pathos (deuil, trauma originel, amour perdu, retour dans la ville natale : aucun ressort ni jalon du mélodrame ne semblent avoir été oubliés), et son film n’est jamais loin de ressembler à ces mini-séries de luxe chez HBO et consorts avec super stars en super guest stars. Ce qui, en soi, n’a rien de gênant ou de déshonorant. Juste qu’on attendait peut-être un peu plus de personnalité et plus d’audace dans le traitement un rien classique du film : pas d’esbroufe (excepté l’utilisation, forcée, de L’Adagio d’Albinoni à un moment qui méritait le silence absolu), rigueur dans l’écriture, mise en scène minimale, interprétation à l’os.
Un langage cinématographique finalement très calibré dans sa sobriété et qui, en cherchant à s’éloigner absolument du tout-venant et des canons hollywoodiens, construit ses propres conventions et ses propres limites. Dans un bel éclat hivernal magnifié par Jody Lee Lipes (qui travailla sur celui, estival au contraire, du trop méconnu Two gates of sleep), bleu et gris entre ciel bas et terre neigeuse (et mer foncée), Lonergan (re)joue la mélodie du malheur, celle d’un homme construit par la douleur, le pardon et la culpabilité (il y a cet instant, à peine quinze secondes, après un interrogatoire, qui restera l’un des plus forts et des plus éprouvants vu cette année). La tragédie en cours (et passée) ramène de force l’humain à la terrible nécessité, à la terrible question de vivre. Pour qui, pour quels espoirs, pour quelles obligations ?
Lonergan parvient à trouver l’équilibre entre le plein et ce qu’il faut, l’anecdotique et l’essentiel, l’osmose entre fatalité totale et humour en pointillés (voire ironie du sort) qui permet au film de ne jamais sombrer dans l’emphase, la minauderie pour violons. Et de ne jamais faire non plus de Lee (Casey Affleck, en état de grâce) un simple martyr de la vie, mais une entité complexe, emmurée vivante dans son chagrin et qui se déteste, qui refuse l’empathie. Film à effusion lente où le temps, mouvant, interagit de fait sur les situations et les comportements d’avant ou de maintenant (par exemple la dernière scène, qui répond à la première), Manchester by the sea façonne, à sa façon, la matière sensible du mélo pour en faire un bloc d’émotions, simple et pur.
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