Je commencerai par dire que je n'aurais pas du lire les critiques que j'ai vues à propos de Manderlay. Ayant adoré le magnifique Dogville, je m'attendais à une suite moyenne voire sans intérêt, et pourtant...
Lars von Trier dirige son film vers tout autre chose. Si dans Dogville il faisait la critique subtile de l'hypocrisie américaine, dans Manderlay il se livre à une vraie réflexion sur la "démocratie" imposée. Grace a évolué, LvT explore une nouvelle facette du personnage. D'abord, si dans Dogville elle ne quitte que rarement son manteau de fourrure, dans Manderlay elle l'abandonne facilement pour s'affubler d'un pantalon, d'un chapeau, et d'une coupe plus garçonne... LvT annonce déjà la couleur: Grace ne sera pas la Grace persécutée et soumise pendant les trois quarts de Dogville. Là, elle prend les choses en main. Symbolisant très probablement l'Amérique, elle arrive à Manderlay en sauveuse pour les libérer en imaginant qu'ils n'attendaient que ça. Mais ce n'est pas si simple... Comme dans Dogville, le malaise provoqué par son arrivée puis par certaines fâcheuses péripéties laisse place à un certain enthousiasme général...qui là encore sera de courte durée. En effet, Grace finit par découvrir que les lois qui dirigent Manderlay (et qu'elle pensait écrites par la vieille dominatrice de la plantation, morte au début du film) ont été rédigées par nulle autre qu'un des esclaves et qu'elle était alors approuvée par presque tous. Grace, qui pensait avoir changé les choses, est alors exaspérée lorsque les habitants lui font part de leur désir de revenir à zéro... Le film s'achève alors par une ultime phrase, prononcée par cette fameuse voix-off délicieusement ironique: après tout, ils n'ont pas accepté la main que leur tendait Grace/L'Amérique...Mais avaient-ils au moins jamais eu l'intention de changer quoi que ce soit à leur vie ?
Si LvT critique assez ouvertement le comportement américain, il nous fait prendre conscience de manière générale qu'il n'est pas si facile de changer le monde en proposant fièrement nos soi-disant parfaits idéaux "démocratisateurs"...