L'ironie d'Albert Cohen, la singularité et la candeur de ses personnages sont remarquablement restituées dans l'adaptation de Moshé Mizrahi. Juifs et caricatures de juifs, Mangeclous, Saltiel, Salomon, Mattathias et Michaël entreprennent, depuis leur Céphalonie natale, un drôlissime voyage à Genève, à la suite d'un mystérieux message de leur neveu Solal, haut-fonctionnaire à la Société des Nations. Très vite, les cinq prétendent obtenir dela digne institution une terre pour Israël...
On se doute bien que cette farce juive chargée d'autodérision, avec ses héros truculents et contrastés, ses dialogues loufoques, n'est pas sans une signification moins joyeuse. Ecrit en 1938, le roman de Cohen n'ignore évidemment pas, tout en n'imaginant pas le pire à venir, le sort fait à ses coreligionnaires. Malgré leur apparence comique, les membres de la famille Solal incarnent ce peuple juif sans patrie ni reconnaissance, méprisé et isolé au milieu de la communauté internationale, nations dont Cohen raille la représentation, cette fameuse et verbeuse SDN, véritable farce dans la tragédie.
Avec une ironie cinglante, l'auteur fustige cette pseudo organisation pour la paix aussi velléitaire qu'incompétente. On pourrait s'en émouvoir, conformément au sens de l'oeuvre, mais on préfère s'en divertir comme on s'amuse des caractères colorés de Mangeclous (Pierre Richard), Saltiel (Bernard Blier) et les autres, tous remarquablement incarnés malgré la difficulté des rôles.