En anglais le terme "maniac" peut se traduire de deux façons: fou, ou bien malade. C'est une question de point de vue me direz vous; ce à quoi je vous répondrai que pour beaucoup la première traduction est encore, dans l'esprit de pas mal de monde, foutrement éloignée, voire aux antipodes de la deuxième. Or Lustig, Rosenberg et Spinell (co-scénaristes) ont semble-t-il bien saisi toute la lourdeur de sens et la portée du titre de leur film, certes âpre et direct, mais non dénué d'un minimum de finesse et de pertinence, ce qui le place bien au-delà du slasher movie pour ados cherchant à retrouver les sensations fortes de leurs années d'énurésie.
Pour l'anecdote je viens d'apprendre que Aja, ce pauvre pêcheur déjà responsable d'avoir noyé le Pirahana en 3D, s'attèle parait-il à la tâche de nous pondre un remake de Maniac cette année.
Voilà pour la séquence frisson post visionnage.
Film culte ô combien célébré, cité en référence, figure emblématique des "années Mad" comme ils disent, Maniac sur le papier ne ressemble pourtant à rien d'autre qu'un ersatz de Halloween sorti deux ans plus tôt, et à tout ce que le cinéma de genre produira par la suite sur la base du même prétexte/pitch/refrain/recette/schéma.
Sur l'écran c'est autre chose. Le film commence fort et va droit au but et d'emblée on est saisi par un petit quelque chose de dérangeant, en l'occurrence le fameux parti pris de la caméra subjective, lui-même associé au son du souffle du tueur à mi chemin entre le gémissement, le plaisir sadique et l'asphyxie qui confère déjà une identité forte à la pelloche.
Quasi muet dans sa première partie, Maniac introduit un tueur dont le visage nous est vite dévoilé— tuant ainsi dans l'œuf l'écueil du monstre sanguinolent sans visage— tourmenté, coupable, et qui souffre de sa condition. Un assassin déviant mais dont l'humanité indiscutable brouille les barrières et place le spectateur dans un positionnement ambigu et de ce fait assez perturbant. Le personnage de Frank Zito, incarné par un Joe Spinell immense, inquiétant et touchant à la fois, provoque tout au long de son évolution des sentiments aussi forts et contradictoires que la fascination, la répulsion et la pitié.
Cet ensemble de ressentis, d'ordinaire inexistant pour ce type de personnage, tire autant sa force de l'interprétation de Spinell que de l'écriture et de la réalisation. Les scènes de meurtres sont d'une efficacité redoutable et frappent —si j'ose dire— par leur fulgurance plus que par leur violence plastique (même si elle est indéniable) qui résultent toujours de moments de tension absolument crispants (je pense notamment à la scène des chiottes du métro), et de silences ou calmes pleins de promesses menaçantes.
Tout ceci est dépeint par une caméra étouffante et anxiogène qui n'hésite pas à envahir votre espace vital en vous donnant tantôt les yeux du tueur, tantôt ceux de la victime, à laquelle s'ajoutent une illustration sonore angoissante faite de gémissements, de souffle et de cris. La musique de Jay Chattaway, qui n'est pas sans rappeler certains gimmick de Carpenter dans les apparitions de Zito, emballe le tout à la perfection de son verni mélancolique et glaçant (le thème principal).
Comme j'aime bien les anecdotes je ne peux m'empêcher de vous dire qu'on pourra faire un petit kikoo à Tom Savini, explosif une fois de plus. Les connaisseurs apprécieront.
Bien sûr le film n'évite pas certaines facilités dans le traitement de la folie, ce qui d'ordinaire a sacrément tendance à m'agacer royalement (je travaille dans le milieu psychiatrique), mais il a au moins le mérite d'apporter un regard un peu plus nuancé sur le trouble schizophrénique. Sans chercher non plus à excuser le tueur —et d'ailleurs je ne pense pas que ce soit le propos du film— Maniac lui rend son statut humain avec ses démons, ses peurs, ses angoisses, sa culpabilité et ses blessures. Par la même occasion il nous rappelle qu'une part de ce que nous devenons est ce que la vie a fait de nous.
Non on ne nait pas complètement taré, contrairement à ce que nos exs en disent.
Le final en ce sens est une réussite totale; et alors qu'à partir de la deuxième moitié de l'histoire on a l'impression que le film commence à tourner en rond c'est pour mieux nous amener vers une conclusion absolument époustouflante, anxiogène, glauque, dérangeante, aux limites de l'épouvante/fantastique.
Une fin sans concession, sans morale et sans réponse, aussi triste et terrifiante que juste, qui replace la souffrance au centre des actes les plus monstrueux, qui sans excuser le meurtrier nous rappelle son humanité, et l'absence de celle-ci dans notre monde moderne et dangereux. Un homme malade dans un monde malsain.
L'aliénation, quoi.