Mank
6.3
Mank

Film de David Fincher (2020)

Voir le film

Le singe joueur d'orgue de Barbarie

Plus de six ans sont passés depuis Gone Girl, dernier long-métrage en date de David Fincher. Loin d'avoir été inactif durant cette période en produisant et réalisant plusieurs épisodes de la série Mindhunter avec Netflix, le réalisateur parvient juste avant la crise sanitaire causée par la covid-19 à boucler le tournage de Mank, un projet démarré au début des années 90 par son père Jack qui en écrivit le script.


Le fil conducteur de Mank est l'écriture du film d'Orson Welles, Citizen Kane, par Herman J. Mankiewicz. Suite à un accident de la route, Mankiewicz est installé dans un ranch isolé en Californie, sevré et gardé par sa dactylo, Rita Alexander. De nombreux flashbacks focalisés sur Mankiewicz et ses rencontres sont savamment insérés, montrant la génèse de cet incroyable scénario, initialement intitulé American, et égratignant au passage l'image d'Épinal de l'âge d'or Hollywoodien.


Car au-delà de ce biopic très intéressant sur Mankiewicz, Fincher interroge sur la place de la création artistique durant la période de l'âge d'or d'Hollywood. Mettant à nue Hollywood où argent et pouvoir gouvernent, où le cinéma sert la politique et où ses artisans, tel Mankiewicz, ne sont considérés que comme des singes joueurs d'orgue de Barbarie, adulés pour leurs prouesses mais ne voyant pas la chaîne qui les relie à leurs maîtres. Le réalisateur met ainsi le doigt sur ce qui, encore aujourd'hui, fait mal dans la plupart des disciplines artistiques, à savoir la place et la reconnaissance de la création. D'un point de vue financier, si l'on prend l'exemple de la bande dessinée en France, ses principaux artisans que sont les dessinateurs, les coloristes et les scénaristes, sont contraints de se contenter des miettes d'un gateau englouti par l'éditeur, l'imprimeur, le distributeur, le diffuseur et le libraire. D'un point de vue reconnaissance, on pourrait prendre l'exemple dans le monde musical des compositeurs par rapport à leurs interprètes.


Dans Mank, Gary Oldman tient le rôle principal, celui de Mankiewicz. Le regard toujours acerbe, mais embrumé par les vapeurs tenaces d'un profond alcoolisme, le verbe haut, le ton cynique et la pique assassine, Gary Oldman parvient à trouver le juste milieu entre la désinvolture feinte et le mal-être obsessionnel et autodestructeur de son personnage. Mais pourquoi avoir choisi l'acteur britannique qui, du haut de ses vénérables 62 ans, a entre vingt et trente ans de plus que l'âge réel de son personnage ? Une polémique a d'ailleurs, à tort car à côté de la plaque, rapidement enflée à la sortie de Mank au sujet de l'âge des actrices entourant Gary Oldman. Tous nés en 1897, Mankiewicz était en effet aussi âgé que son épouse Sara (interprétée par la gracieuse Tuppence Middleton, 33 ans) et l'actrice Marion Davies (interprétée par Amanda Seyfried, 35 ans).


Un noir et blanc tout en contraste clair-obscur, la construction des plans et la direction des acteurs (certainement le plus grand rôle d' Amanda Seyfried), le tout solidement ancré par une patine d'époque (brûlures de cigarettes pour les changements de bobine en post-production, son mono, costumes d'époque,…), donnent une mise en scène élégante et immersive.


Avec Mank, qui s'inscrit dans la même veine qu'un Roma d' Alfonso Cuarón, Netflix confirme, s'il en est encore besoin, être plus qu'une simple plateforme de vidéo à la demande, mais un acteur majeur du septième art. Un acteur qui ose, prend des risques, bouscule les codes et innove, forçant de ce fait les autres géants du secteur à faire de même.


Mank est un bel hommage à Herman J. Mankiewicz, au père de David Fincher et aux scénaristes, hommes de l'ombre du cinéma. Un film miroir mettant également le monde du cinéma devant ses propres contradictions et artifices.

Vincent-Ruozzi
7
Écrit par

Créée

le 25 déc. 2020

Critique lue 2K fois

55 j'aime

4 commentaires

Vincent Ruozzi

Écrit par

Critique lue 2K fois

55
4

D'autres avis sur Mank

Mank
Ketchoup
5

Mank a gagné?

Le mérite du film, c'est de nous dire que Citizen Kane (1941) a été écrit en majeure partie par Herman Mankiewicz et non pas par Orson Welles. Ils reçurent ensemble l'Oscar du meilleur scénario...

le 5 déc. 2020

68 j'aime

41

Mank
Moizi
5

Demain je t'aurai oublié

Ma première déception chez Fincher, clairement à aucun moment je ne suis vraiment rentré dans le film, à aucun moment le film n'a inspiré autre chose chez moi qu'un ennui poli face à une œuvre qui...

le 5 déc. 2020

56 j'aime

3

Mank
Vincent-Ruozzi
7

Le singe joueur d'orgue de Barbarie

Plus de six ans sont passés depuis Gone Girl, dernier long-métrage en date de David Fincher. Loin d'avoir été inactif durant cette période en produisant et réalisant plusieurs épisodes de la série...

le 25 déc. 2020

55 j'aime

4

Du même critique

Whiplash
Vincent-Ruozzi
10

«Je vous promets du sang, de la sueur et des larmes»

Whiplash est un grand film. Il est, selon moi, le meilleur de l’année 2014. Une excellente histoire alliant le cinéma et la musique. Celle-ci ne se résume pas à une bande son, mais prend ici la place...

le 20 janv. 2015

192 j'aime

11

Mad Max - Fury Road
Vincent-Ruozzi
9

Sur les routes de Valhalla

Je viens de vivre un grand moment. Je ne sais pas si c’est un grand moment de cinéma, mais ce fût intense. Mad Max: Fury Road m’en a mis plein la gueule. Deux heures d’explosions, de fusillades et de...

le 16 mai 2015

182 j'aime

21

The Irishman
Vincent-Ruozzi
8

Le crépuscule des Dieux

Lèvres pincées, cheveux gominés, yeux plissés et rieurs, main plongée dans sa veste et crispée sur la crosse d'un revolver, Robert De Niro est dans mon salon, prêt à en découdre une nouvelle fois. Il...

le 29 nov. 2019

153 j'aime

10