Les enfants morts-nés de l'industrie du cinéma.
Atterré, devant une constellation de petites étoiles au design enfantin, un peu trop innocent, il faut avouer que je n'étais pas vraiment sûr d'avoir compris grand chose à ce que voulait faire passer David Cronenberg à la fin de Maps to the Stars. Des scènes d'horreur, le quotidien assez moche de grandes stars de la machine hollywoodienne, empli d'hypocrisie, de trahison, de gamins drogués et aux valeurs fourvoyées: ça, c'est une dimension qui passe assez facilement. Mais derrière ça... what the fuck? Une petite map de ce qui s'est passé dans la tête de Cronenberg s'il vous plait? Les fantômes et l'inceste ne sont pas là pour le fun quand même?
Ce que j'allais classer comme le film le plus chelou que j'ai jamais vu, devint alors un mystère passionnant dont voici une interprétation qui, à défaut d'être la bonne, est la mienne (attention gros spoil):
Restituons d'abord un peu les choses. On voit dans ce film des personnages déchirés et aux histoires étroitement liées: Julianne Moore est Havana Segrand, une actrice connue, pour tout ce qu'on en sait au début, et qui souhaite jouer, dans un remake, le rôle qu’interprétait autrefois sa mère au cinéma. Après tout, pourquoi pas, bel hommage, noble dessein.
Pourtant, dès le début du film, David Cronenberg plante le décor, dans une ambiance de mal-être, proche du glauque (si ce n'est dedans à pieds joints), qui je dirais, commence avec la séance de "yoga", si on peut l'appeler comme ça, d'Havana Segrand avec son psy, le Dr Stafford (John Cusack). Le Dr. Stafford est un grand nom de la psychologie, auteur de best-sellers, médecin de stars, et pourtant, il n'y a rien de très glorieux à l'échange entre les deux personnages... On ne sait pas trop si c'est de la médecine ou une scène sexuelle aux fantasmes pour le moins spéciaux, incestueux. Ou encore un entraînement pour le rôle que convoite tant l'actrice? Quoi qu'il en soit, le Dr. Stafford fait crier à sa patiente des choses sur sa mère pendant qu'il la masse et finit par la toucher pour évacuer le mal en son épicentre. Au cas où l'on aurait pu traverser cette scène sans une profonde sensation d'incompréhension et de malaise, Cronenberg ne daigne nous expliquer que plus tard, qu'Havana Segrand fût en fait violée par sa mère étant petite et que celle-ci mourût dans un incendie. Eurk
Pourquoi diable veut-elle donc jouer le rôle qu'interprétait sa mère au cinéma? Pourquoi subit-elle des séances aussi affreuses que malsaines? Pourquoi voit-elle sa mère en fantômes?
En parallèle, s'implante le même schéma perturbant d'un enfant, Benjie, vedette de "I am a bad babysitter", qui semble assez perturbé également par le succès éclatant de son film et qui voit en fantôme la petite fille morte qu'il allait voir à l’hôpital jusque récemment.
Une fois bien plongés dans l'ambiance préalablement décrite, l'intrigue peut réellement prendre place: Havana Segrand embauche Agatha Weiss (Mia Wasikowska), une jeune fille défigurée par le feu qui lui rappelle sa mère. On se rend compte alors rapidement qu'Agatha est en fait la fille du Dr Stafford, qui est lui même le père du petit garçon au si grand succès.
Séparés depuis longtemps, cette famille fut autrefois brisée par l'acte de pyromanie de la jeune fille, qui mis son frère sous drogue avant de mettre le feu à la maison, menaçant par cet acte de le tuer ainsi que ses parents.
A cause de cela, le Dr Stafford Weiss retrouve donc sa fille, la menace, et lui interdit de l'approcher, lui, son fils ou sa femme. Bien entendu, elle a déjà rencontré son frère pour s'excuser de ses actes passés. On découvre à ce moment là qu'elle aussi voyait des fantômes à l'époque et que c'est pour ça qu'elle avait mis le feu 7 ans auparavant. Mais cette rencontre n'est pas la plus forte en révélations. C'est lorsqu'elle enfreint une deuxième fois les injonctions de son père pour rejoindre sa mère, en connaissance de cause cette fois, que la surprise est la plus grande. On apprend alors qu'Agatha avait découvert, avant de disparaître de la vie de ses parents, qu'elle et son frère étaient en fait les enfants incestueux de ces derniers. La discussion n'a pas le temps de prendre une autre dimension que le choc, jusqu'alors figuré, se matérialise par l'arrivée du père et ses coups de poings sur sa fille.
Alors, tout se précipite. Le jeune acteur se fait piéger par une de ses apparitions fantomatiques, au cours de laquelle il tue le petit garçon à qui il donne la réplique et qu'il accuse de lui voler la vedette.
Parallèlement, Havana Segrand couche avec le petit ami de son employée. La scène, monument d'horreur, mélange, d'une part, la jalousie qu'Havana éprouve pour Agatha, étant donné le souvenir qu'elle lui évoque de sa mère qui était une actrice plus belle et plus reconnue par le milieu. Et d'autre part, la prostitution de Jerome Fontana, (Robert Pattinson) qui s'offre sans trop poser de questions à une actrice connue, dont il espère certainement qu'elle lui offrira une chance de percer dans le milieu, car il se dit lui même comédien et scénariste, bien qu'endossant en réalité le costume du connard sans morale chauffeur de limousine.
Manque de chance, Agatha assiste à la scène. Libérée de ses cachets usuels, et victime d'une scène qui la dépasse, elle craque et assomme l'actrice à grands coups d'Oscar, éclaboussant son visage, ses cheveux, et ses yeux vidés de toute expression, de grandes giclées de son sang.
Si le message n'était pas passé jusque là, plus trop de doute possible: la métaphore est tout ce qu'il y a de plus explicite.
Pour finir, les deux enfants se retrouvent et se passent l'un et l'autre les alliances de leurs parents aux doigts. Dans une feinte cérémonie de mariage qu'ils font depuis toujours, ils s'embrassent et, ensemble, se suicident.
C'est ainsi que Cronenberg clôt la boucle. La machine incestueuse de l'industrie américaine du cinéma, où tous sont si proches que nul ne peut y entrer, est symbolisée par les parents incestueux de notre tragique histoire. Lorsque leur temps est venu, ceux-ci engendrent des enfants, leurs successeurs métaphoriques sur la grande scène, eux-aussi incestueux, qui les railleront ou les imiteront mais qui, stars d'un film ou de plusieurs, seront de toute façon destinés à vivre le même destin qu'eux. Un destin tracé où tous sont privés depuis le départ du plus important: leur liberté.
La répétition, et le suicide final des deux enfants, sur le poème Liberté de Paul Eluard, nous fait comprendre que même si l'on tend vers la liberté, dans ce milieu, on ne la trouve que dans la mort, lorsque tout s'arrête. Peut-être est-ce pour cela d'ailleurs que tous les personnages de ce film chérissent tant ce mot, ces vers qu'ils récitent tous par coeur. Car il leur est si étranger, et qu'aucun ne la connaissent.
Même si le cinéma peut parler de liberté, comme dans le film que veut jouer Havana Segrand dans Maps to the Stars, ou comme Cronenberg tente lui même de le faire, de se déclarer libre de critiquer son propre milieu dans son film, ce n'est qu'une illusion de liberté. Une illusion nécessaire: une machine à rêves auxquels les acteurs eux-mêmes veulent croire.
Dans ce carquois inextricable et oppressant qu'est le monde d'Hollywood, la figure du psy semble l'incarnation d'une folie à laquelle personne n'échappe, le grand manitou d'une philosophie douteuse, dernier rempart depuis longtemps abattu de la santé mentale, plus désespéré encore que ses patients qu'il pense contrôler et presser pour quelques zestes de dollars dont il est lui aussi la victime. Il finira d'ailleurs affalé dans une chaise, inconscient que la réalité lui échappe, comme s'il avait su qu'il était trop tard pour lui et qu'il avait déjà laissé sa place à d'autres, qui finiront comme lui.
Les fantômes, tout au long du film, sont là pour nous plonger dans une sensation de malaise et à la fois, nous mettent dans la peau des personnages qui, dans le cas d'Havana, rêve la carrière de sa mère, vit dans son ombre, sa gloire passée et tente de suivre ses traces. C'est le drame des enfants de star qui, violés en quelque sorte par leurs parents, sont plongés dans ce milieu sans le souhaiter et ont donc sacrifié leur liberté dès la naissance.
C'est pourquoi Benjie voit des jeunes enfants morts, comme le jeune garçon d'une actrice qu'il connait. Ce sont les enfants du cinéma, ceux, réels, des acteurs, mais aussi les enfants, au sens des stars créées par l'industrie Hollywoodienne, qui, car elles sont nées d'un pêché incestueux, sont comme mortes-nées. Car le milieu est ce qu'il est, qu'ils en sont le produit et qu'ils le reproduiront, comme les deux enfants se marient incestueusement, reproduisant le pêché de leurs parents. Et pourtant, ils ont compris la perversion de leur situation, et choisissent donc la liberté dans la mort.
Au vu de tout cela, c'est une satire incroyable que nous livre Cronenberg. Même dans leurs conceptions, les personnages nous inspirent un dégoût profond par ce qu'ils sont: une mère vénale qui emploit son fils, Benjie, comme un objet, fils qui n'inspire d'ailleurs pas beaucoup plus la sympathie dans la façon dont il hait et traite ses fans, un psy dont on a déjà décrit l'atrocité du personnage, une Havana Segrand qui ne peut qu'inspirer le dégoût lorsqu'on la voit déféquer aux toilettes et commenter l'odeur, ou s'essuyer entre les jambes avec son écharpe après s'être faite prendre à l'arrière d'une voiture. Tout est là pour provoquer un sentiment de dégoût latent.
Ce qui rend le paradoxe qui s'ensuit me semble encore plus fou. Tant l'oeuvre est juste, ses conclusions s'en retrouvent confirmées au-delà même du film.
Car même lorsque l'on veut réaliser une satire du milieu hollywoodien, celle-ci finit acclamée par ce milieu-même qu'il critique. Maps to the Stars est présenté au festival de Cannes, acclamé par certains même comme le film majeur du festival, relayé sur tous les plateaux télévisés, et donc naturellement réintroduit dans l’infatigable et inébranlable machine dont Cronenberg s'est voulu, l'espace d'un instant, le pourfendeur. Ironie du sort.
Mais quel meilleur moyen de réintégrer la déviance qu'en la déclarant de la famille? (Les métaphores familiales sont si belles).
Finalement, Map to the stars: on cherche le firmament, on l'admire, on veut en faire partie et le comprendre. C'est planté dès le début: Agatha Weiss demande à son chauffeur une Map to the stars, pour retrouver la maison de ses parents.
Lorsque l'on ressort de la salle, Cronenberg nous a donné la clé, la carte pour lire ces liens, qui à défaut d'être des liens du sang incestueux, sont les liens qui, comme les figures d'astronomie, permettent de relier entre elles les grandes stars d'Hollywood en une constellation qui fait système pour nous expliquer le vrai visage de la machine à rêves qu'est le cinéma américain.
En espérant que le pauvre ne finisse par la tête exposée par une probable récompense pour l'avoir fait.
Ps: Je mets quand même pas 10 parce que je suis vraiment pas sûr que tout cela ne soit pas le pur fruit de mon imagination trop productive.