Dans une maison en images réelles, une balle de tennis avance et dévale les escaliers comme ensorcelée. Bercée par les tendres lumières de la Californie, cette étrangeté se manifeste dans une inhérente douceur. Il s’agit du véhicule, passablement furtif, de Marcel – un coquillage, animé, d’un centimètre – que découvre Dean, le réalisateur à et hors de l’écran, dans l’Airbnb qu’il loue alors que son mariage prend fin. Par cette ouverture insolite, Dean Fleischer Camp énonce les deux réalités qui s’entrechoquent dans Marcel le coquillage (avec ses chaussures) : celle de Dean, que partage le·a spectateur·rice, et celle de cet attachant mollusque paré de chaussures orange. À travers la vie bricolée de Marcel et de sa grand-mère Connie, le cinéaste aspire à réenchanter un réel foncièrement trivial, celui de l’espace domestique.
Brutalement séparé·e·s de leurs congénères lors de la séparation des propriétaires de la maison, les deux coquillages ont dû appréhender leur environnement pour survivre. Tandis que notre regard – guidé par la caméra de Dean Fleischer Camp – change d’échelle, les objets trouvent de nouveaux usages : un poudrier se transforme en lit ; un pain à hot-dog en canapé ; une pâte crue en instrument à vent. Ce contre-emploi poétique des résidus des vies humaines atteint son paroxysme dans le traitement de la poussière opéré dans Marcel le coquillage (avec ses chaussures). Pour Marcel, un amas de fibres est devenu Alan – sa balle en peluche de compagnie. Pour Connie, la poussière symbolise la nostalgie de son enfance passée dans le garage avant d’immigrer dans la maison. Cette maison se révèle être le sanctuaire d’existences simultanées, humaine et invertébrée, unies dans un processus de perte similaire. À la photographie du couple enlacé – trace d’un amour révolu – répondent les portraits des proches disparus de Marcel gravés à l’arrière du miroir de la coiffeuse en bois.
D’une curiosité propre à l’enfance, Marcel est la passerelle entre les deux mondes. Dépassant le simple récit initiatique, Marcel le coquillage (avec ses chaussures) « redonne du sens aux concepts les plus simples » pour reprendre les mots de la journaliste de l’émission 60 minutes Lesley Stahl, idole des deux rescapé·e·s, lors du reportage fictif qu’elle dédie à Marcel. Le jeune mollusque célèbre la communauté qu’on tisse autour de soi. Il conteste la facticité que peut revêtir une audience virtuelle, acquise par les vidéos virales que publie Dean. Avec candeur, Marcel s’interroge sur la réalité qui se cache sous les images ou sous la technologie. S’il devine que Dean se dissimule émotionnellement derrière sa caméra, il ne se dérobe pas au fait que l’action de filmer modifie intrinsèquement le réel. Dans ce faux documentaire, il « en rajoute un peu pour [Dean] » comme le remarque avec tendresse Connie. Métafilm, Marcel le coquillage (avec ses chaussures) est un premier long-métrage hybride qui exalte une liberté d’être, pour soi et avec les autres. Depuis son coquillage, Marcel devient le représentant d’une résilience solaire.