Alternant entre la fiction débridée et les biopics, la filmographie de Pablo Larrain poursuit son programme et s’attaque à une troisième femme, après Jackie Kennedy et Lady Di : Maria s’attarde ainsi sur la destinée de la diva Maria Callas, qui, contrairement aux deux précédentes, n’est pas une épouse, mais bien une célébrité de premier plan.
Maria est avant tout un requiem : les derniers jours de la cantatrice, recluse dans son appartement parisien, dévorée par sa propre mythologie, et tentant, sans trop y croire, de préparer un retour sur une scène dont elle s’est éloignée depuis des années.
Récit fragmentaire, variant les formats, le noir et blanc et la couleur, Maria est un état des lieux, voire un inventaire testamentaire, qui peut inquiéter dans ses premières séquences à l’esthétique ultra léchée qui lorgne du côté de l’esthétisme rutilant d’un Sorrentino pour restituer la magnificence des grandes salles de concerts, des arias et des opéras de prestige. Le montage alterné va rapidement décaper ce glacis, en opposant les tentatives du présent et les échos d’une carrière déjà lointaine : un chant/contre-chant, en somme, où l’on oppose la scène à une cuisine où la friture couvre la mélodie entonnée par la diva.
Larrain n’a jamais eu beaucoup d’intérêt pour le biopic académique, et il est bon de connaître les grandes lignes de la vie de la Callas pour suivre ce labyrinthe mémoriel où se croisent les amants et les époques, les triomphes et les déconvenues. Cet appartement luxueux et désert, dans lequel Maria ne cesse de déplacer le piano, est le centre névralgique d’un récit en archipel où les forces contraires cohabitent. La tendresse des employés de maison (formidable contre-emploi de Pierfrancesco Favino, et très tendre partition de la toujours parfaite Alba Rohrwacher) fait office de famille à une femme sous l’influence de surdoses médicamenteuses, qui perd progressivement contact avec le réel. L’occasion pour Larrain de cliver les lois du genre, la diva se promenant dans ses souvenirs comme dans ses fantasmes ou ses hallucinations. “What is real and what is not real is my business”, annonce-t-elle en préambule. L’étrange jeune homme qui l’interviewe est donc une possible projection de son esprit embrumé, occasionnant des transgressions narratives méta et une relecture du passé qui convoque le baroque fellinien avec une tonalité funèbre souvent émouvante.
Le véritable sujet du film se trouve dans cette quête illusoire : au terme d’une vie où la perfection fut atteinte, brisant nécessairement celle qui la porta, mettre en œuvre la fin parfaite. L’incarnation d’Angelia Jolie, d’une grande force, restitue cette posture impressionnante d’une femme consciente de sa légende, renforcée par ses blessures et bien décidée à garder la tête haute, même devant une salle vide. Si quelques épisodes sont plus dispensables (notamment sur les paparazzis et l’enregistrement clandestin par un journaliste de sa piètre performance), l’essentiel se joue moins dans les évocations des événements que dans leur insoutenable charge pour un individu ordinaire. La mort se fera donc avec panache : Maria, seule capable de supporter le poids de sa légende, restera la seule à pouvoir entonner son requiem.
(7,5/10)