Petit-neveu de Julien Duvivier, j'ai évidemment vu bon nombre de productions de l'aïeul. Ce film-là ne m'attirait pas trop mais, puisqu'il est l'un des tout préférés de mon père (neveu du maître donc), j'ai fini par m'y coller. Bon, voilà, c'est fait. Mes réticences étaient fondées : la note de Senscritique à l'heure où j'écris - 6,3 - me semble encore assez généreuse...


Car le film a mal vieilli. Tu vois Tico, le monde [des vieux films] se divise en deux catégories : ceux qui transcendent leur époque, et les autres. On reverra dans cent ans Le cuirassé Potemkine, Les temps modernes ou M le maudit avec le même ébahissement. Ce Marianne-là a précisément perdu sa jeunesse. A l'instar de l'une des premières phrases prononcées par la voix off, évoquant les pensionnaires du château de Heiligenstadt, en substance : "c'étaient soit des orphelins, soit des enfants d'un père trop occupé ou d'une mère trop coquette". Bon, la misogynie du grand-oncle est hélas célèbre, mais ce type de phrase marque aussi une époque, heureusement révolue en l'occurrence.


Ce qui est daté, c'est aussi le romantisme échevelé qui nimbe tout le film. Seules les âmes fleur bleue, je le crains, pourront être touchées par cette histoire de passion largement désincarnée. Handicap supplémentaire en ce qui me concerne, je n'ai nullement été fasciné par la beauté de cette Marianne, ni par son jeu, tout en chuchotements pleins d'air dans la voix. Pierre Vaneck fait le job qu'on attend de lui, façon Gérard Philippe dont il n'est, tout de même, qu'une pâle copie.


Toute cette emphase, dans le jeu de presque tous les acteurs comme dans les dialogues, a pris un gros coup de vieux. Avec ce beau manoir, qui évoque par moments La chute de la maison Usher de Jean Epstein (cadre sombre et majestueux, importance des portraits et des miroirs), Duvivier eût pu accéder au fantastique visé. Mais toute cette pacotille sentimentale lui colle des semelles de plomb.


Résultat : le film, au lieu de subjuguer, fait bien souvent rire... à ses dépens. Les séances du clan des "cruels" qui se prennent au sérieux, la scène où Vincent joue de la guitare en faisant des claquettes et où tout le monde autour de lui dodeline de la tête en cadence, le gorille aux sourcils broussailleux, la gueule ahurie du petit Félix admirant l'Argentin (le meilleur acteur du film ?), les élans passionnés des deux tourtereaux multipliant les serments... Sans parler des culottes tyroliennes. On frise le ridicule plus souvent qu'à son tour.


Restent deux éléments à sauver du naufrage, qui font du film un objet malgré tout intéressant.


1- La dimension psychanalytique.


Le film joue sur l'ambiguïté mère/amoureuse-de-Vincent, avec cette seule main qui dépasse d'un carrosse au tout début. On retrouvera cette main émergeant de la voiture à la fête foraine. De même, il y a la lettre de la mère, décevante, puis celle de Marianne, appelant au secours. Ce lac, qu'on peut lire comme un utérus, l'élément liquide étant caractéristique de la matrice maternelle. Le chevalier, figure du père qu'il faut tuer une seconde fois... D'une manière générale, le film baigne dans une ambiance de conte de fées, avec cette forêt omniprésente, ces animaux, l'utilisation d'un objet perdu comme dans Cendrillon (ici un mouchoir à dentelles)... Tout cela nous ramène à l'enfance et à la relation à la mère.


Marianne peut ainsi être vue comme une image de la génitrice sublimée. Lorsque le capitaine, joliment incarné par ses bottes, vient annoncer à Vincent qu'il va épouser sa mère, le rejet de ce dernier est total, ne faisant que le pousser d'avantage dans les bras de l'irréelle Marianne. Et, à la fin, c'est bien vers sa mère que Vincent retourne. Ce personnage, dont l'apparente liberté fascine tous ses camarades, reste finalement prisonnier de son Oedipe non résolu, faute d'un père pour l'y aider. On retrouve une autre réputation bien méritée de "tonton Julien" : son pessimisme radical, sa noirceur. Ce trait-là m'est beaucoup plus sympathique.


2- Le personnage de Lise.


Lise, c'est précisément la libération de cet Oedipe. Elle entend couper le cordon ! On la voit d'abord yeux baissés s'asseoir à la table des garçons. Puis, première audace, lors de la tempête : elle déchire sa chemise de nuit face à Vincent (en ombre chinoise certes) ! Deuxième audace quelque temps plus tard, lorsqu'elle se met à l'eau, nue (on aperçoit même furtivement sa poitrine). Mais Vincent résiste, s'entête dans son enfermement, allant même jusqu'à la battre en public, troisième audace de la part de Duvivier pour l'époque. Enfin, les animaux, qui agissent comme l'inconscient de Vincent, finiront par éliminer la dérangeante Lise, dans l'une des plus belles scènes du film : des biches poursuivant une Lise dont la blanche chemise de nuit flotte dans le vent.


Bien dommage qu'une épaisse couche de poésie lourdement assénée et de romantisme mièvre recouvre ces deux trésors-là. Et que je n'aie pu le dire de vive voix à "tonton Julien" : j'avais deux ans quand il disparut dans un accident de voiture...

Jduvi
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le 27 oct. 2020

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