Le film peut se découper en deux parties : une partie sur l'adolescence, une partie sur l'âge adulte. Le basculement s'opère lorsque Marie-Antoinette assiste à la représentation de Castor et Pollux de Rameaux. La cantatrice entonne un air grave et dramatique, "tristes apprêts et pâles flambeaux". A ce moment-là, le film prends un tout autre sens, passant de la passion du luxe à sa vacuité. Le film est à la fois historique et psychologique, ou disons qu'il prend comme prétexte une figure historique populaire pour dresser le portrait d'une femme. Un parti pris clairement identifiable à celui de Zweig, qui, dans sa célèbre biographie de la reine de France, s'attache aussi à comprendre le comportement de cette jeune fille. Ainsi, l'époque de Marie-Antoinette est celle d'une transition, entre deux mondes, deux aspirations et le parallèle fascinant que mène Sofia Coppola en maître c'est de lier cette transformation historique à la transformation psychologique de la reine.


Sofia Coppola donc, intériorise l'histoire, ou la personnalise dans une femme. Il en résulte une douce mièvrerie et insouciance adolescente. Marie-Antoinette n'est encore qu'une enfant lorsqu'elle arrive dans cette cour de France qui est une vaste fosse aux lions, toute auréolée d'or. Elle pense d'ailleurs échapper à sa condition de prisonnière - car elle l'est, étant peu éduquée aux intrigues politiques, elle n'a pour simple tâche que de faire de la figuration et est, grosso modo, "donnée" au Royaume de France par sa famille, en échange de la paix. Elle se réfugie dans le luxe, les frivolités. Et Versailles le lui rends bien en cristallisant la bonne société aristocrate et bourgeoise, temple de la mode avant l'heure, lieu de toutes les extravagances et de tous les plaisirs. Du moins, c'est ce qu'on veut nous faire croire, car, en réalité, Versailles est un lieu d'une rigidité froide - en témoigne l'étiquette, redoutable machine à humiliation et préséances moribondes.


La bande son commence à nous mettre la puce à l'oreille : larges extraits de musique classique, de musique classique revisitée, du Cure, du The Strokes, du Air et d'autres chansons aussi significatives que l'humeur d'une princesse puis d'une reine. A chaque humeur sa chanson et de cette bande-son charmante et naive, mièvre et mélancolique, on peut en filigrane comprendre le film. Il s'agit d'un rêve qui se transforme en déception à laquelle se heurte Marie-Antoinette, qui peine à se faire accepter dans la cour et la désillusion d'une jeune fille qui a grandit trop vite, une jeune femme destinée à être reine, éduquée pour cela et qui, une fois devenue souveraine se rends compte de la différence entre sa vision des choses et la réalité.


Le film est d'un doux rêve délicatement empoisonné, comme la pomme de Blanche-Neige. Versailles la tuera. Les anachronismes volontaires - qui évitent tout de même tous les poncifs fallacieux qu'on entends à droite à gauche sur cette période - ne vont que dans ce sens. Ce qui intéresse Coppola n'est pas tant l'Histoire avec un grand H que la petite, celle d'une jeune fille dans la cour des grands. Elle invente et redonne une psychologie féminine à une figure historique et controversée en faisant écho à la nôtre. Cette reine fut une adolescente comme tant d’autres. La réalisatrice est la première à donner une vision intimiste à Marie-Antoinette dans une cour où justement il n'y a aucune intimité. Elle invente l'adolescence à une époque où ce concept n'existe pas encore (quoi qu'il émerge dans le Emile de Rousseau, la référence à Rousseau est d'ailleurs présente dans le film et Sofia Coppola vise juste en donnant à Marie-Antoinette des envies d'état de nature et de simplicité, l'époque, marquée par des livres comme Paul et Virginie de Bernardin de Saint-Pierre notamment était comme ça) et de cette réactualisation elle tire une vision très fine et tout en intérieur du destin d'une reine de France. Le paradoxe c'est que c'est précisément un travail d'historien ! (puisque qu'un historien va chercher à comprendre une époque à travers son regard actuel, forcément, pour réactualiser l'histoire).


Il en résulte un curieux mélange. Une première partie est tapageuse, remplie de ponpons, de roses, de stuques, de marbres blancs, un Versailles gauche, naif et touchant. Le ballet des costumes et des tenues extravagantes ressemblent pourtant à une danse macabre et quand cette pauvre Marie-Antoinette enterre son enfant, endeuillée, endettée, la France la haïssant on comprend que ce luxe n'est que la façade délicate d'une réalité féroce et austère. A la fin, Versailles est vide. Versailles est finie. Une vraie tragédie en deux actes.


Avec Marie-Antoinette, c'est le spectateur qui est touché. Notre jeunesse se réveille, notre désir d'évasion et de liberté aussi, dans un siècle qui l'a vu naître. Marie-Antoinette, avec ses converses roses n'est pas une fable historique à la Barry Lindon, c'est l'histoire d'une femme, à une époque donnée. Versailles n'est qu'un prétexte à renforcer l'implacable tragédie qui s'opère, celui du passage de l'adolescence à l'âge adulte, et en même temps Marie-Antoinette est la représentante de tout une époque. C'est là, pour moi, la vraie force de ce film.


Car, le film a quelque chose de réactionnaire. En modernisant l'ancien régime par le prisme de l'adolescence, elle en fait un objet de fascination nostalgique, un c'était mieux avant, période de l'insouciance, des froufrous et des perruques, exubérances d'une adolescence qui se mue, tristestement, par la révolution, en âge adulte.

Créée

le 2 déc. 2013

Modifiée

le 20 nov. 2014

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Tom_Ab

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