Jean-Pierre Améris a choisi de diffuser son film en version adaptée pour les sourds et malentendants ainsi que pour les aveugles. C’est que son film, qui raconte l’histoire vraie d’une jeune sourde et aveugle rendue au langage par le toucher au 19e siècle, est avant tout un acte de communication, d’ouverture au monde. Au-delà, il dit que le cinéma est un langage, fragile harmonie entre des mots et des images, entre des corps et des voix. Les plans du réalisateur sont une succession de séquences aériennes, tournées tantôt vers les arbres, tantôt vers le ciel, ou de moments palpables, tangibles où les mains de Marie et de Sœur Marguerite découvrent « un monde où tout ce qui est vivant palpite sous les doigts ». Cette femme-là est, à elle seule, un éloge de la patience, de la persévérance. Le film évite, en s’élevant ainsi de l’infime à la cime des choses, des êtres, ne tombe (presque) jamais dans les bons sentiments faciles. Bien sûr, on sait ce qui finira par advenir … la réussite. Mais ce qui compte ce n’est pas tant cette histoire que le chemin pour l’accomplir. C’est d’abord une longue route dans la nuit, dans le noir où une religieuse persuadée d’avoir rencontré « une âme » s’arme de patience pour tenter d’apprivoiser celle que l’on voit comme « une enfant sauvage ». Leur lutte se passe au corps à corps, avec comme seul moment d’apaisement, ce petit couteau, premier mot signé, que Marie caresse et sent sans relâche. Dans ces instants-là, Marie doit apprendre à vivre avec les autres. C’est là la première étape, pleine de combats que nous donne à voir le réalisateur. Là, sa confrontation avec ce monde religieux, sans être dogmatique, où la parole divine, retranscrite en signes compte bien moins que l’éveil au langage de chacune des jeunes filles sourdes admises là.

Si ce film ne révolutionnera pas l’histoire du cinéma, il est un moment d’une beauté indéfinissable. Il prend le temps, à l’heure où tout bousille, d’observer, écouter, sentir, tout ce qui nous entoure, de s’en enivrer. Le film est simple, doux mais aussi animal par moment. Les deux actrices principales, dont Isabelle Carré qu’on retrouve avec plaisir films après films, ont une alchimie certaine. Quand leurs mains se croisent, se touchent, s’effleurent et se disent en silence tout ce qu’il y a à ressentir. Quand elle s’apprivoisent doucement, l’émotion, jamais trop facile, est palpable. C’est que Jean-Pierre Améris, même quand ses héroïnes parlent de mort et de Dieu, privilégie le physique au spirituel. Marie éprouve le monde et apprend à faire, à partager. Dès qu’elle a appris cela, c’est enfin à Sœur Marguerite d’accepter sa destinée à elle : quitter le monde. Voilà qu’elle devra elle aussi accepter de lâcher prise, de faire confiance à autre chose. Quand Marie regarde le ciel, c’est presque trop appuyé mais c’est à l’image de ce film où la neige qui tombe est un émerveillement : plein d’une sensibilité qui réchauffe, avec ces cadrages serrés sur les doigts de Marie qui lui servent à signer « au toucher ». Le visage de Marie s’illumine au fur et à mesure que le film avance, et, dès lors, sa condition n’est pas misérabiliste car c’est un chemin vers le meilleur, vers le langage et l’odeur des fleurs que l’on sent l’été sur un chemin, comme celles que l’on dépose sur la tombe de ceux qu’on a aimé dans la vie, auxquels ont rend hommage dans la mort… La beauté est là, partout, dans chaque essence, dans chaque détails, qu’on croit ou non qu’ils sont habités par un Dieu ou par quoi que ce soit, c’est là, sous nos doigts (...)

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le 1 déc. 2014

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