Tourné et sorti entre Les Galettes de Pont-Aven et ... Comme la Lune, Marie-Poupée (1976) appartient à l'univers plus sombre et plus dramatique de la filmographie de Joël Séria , celle qui abrite déjà son vénéneux chef d'œuvre Mais ne nous Délivrez pas du Mal sorti en 1971. A travers cette histoire d'amour flou , le réalisateur va flirter avec les tabous les plus épineux tout en délivrant une très jolie fable sur l'émancipation féminine.
Marie-Poupée nous raconte l'histoire de Claude qui travaille comme vendeur dans une boutique d'antiquités et de vieilles poupées de porcelaine. Ce dernier tombe amoureux de Marie une jeune femme au teint pâle et aux grands yeux ronds avec laquelle il décide de très vite se marier. Elle espère trouver l'amour, il ne souhaite que s'offrir une nouvelle poupée grandeur nature.
Joël Séria s'éloigne totalement de l'univers populaire et provinciale de ses comédies grivoises et nous plonge cette fois ci dans un riche milieu bourgeois. Claude interprété par un très sobre André Dussolier incarne un jeune aristocrate fétichiste de poupées vivant dans un immense château avec domestiques. La jeune Marie qui deviendra sa compagne succombe donc un peu au mythe et au charme du prince charmant et de la belle vie. Assez rapidement le réalisateur installe un climat trouble lorsque "le jeu" mis en place par cet homme commence. Ce jeu consiste à ce que Marie dans des robes de petits filles modèles avec boucles et nœuds dans les cheveux reste immobile sur le lit comme une poupée tandis que son marie s'occupe d'elle. Et même si Claude ne se livre qu'à un plaisir fétichiste asexué de "domination" chaste et de possession, il rode sur ces séquences malaisantes les ombres troubles de la pédophilie voir dans une moindre mesure de la nécrophilie. Les penchants de Claude pour les petites filles sages et immobiles se vérifieront même plus tard dans le film avec une séquence bien plus malaisante encore. Mais ce qui intéresse surtout le réalisateur c'est de montrer une relation infiniment toxique et destructrice entre une jeune fille qui rêve de grand amour et un homme qui ne fera que la considérer comme un objet et même pas de désir. Enfermée dans une chambre pastel de poupée grandeur nature, systématiquement habillée en robes de petite fille, exhibée comme un trophée et un objet auprès des riches invités, comme mise sous vitrine Marie finira par se morfondre dans un profond désespoir et de solitude exacerbé par un désir de chair et de sensualité. Avec candeur et innocence la jeune femme délaissée trouvera un refuge précaire auprès d'un des hommes de mains du château interprété par l'excellent Bernard Fresson . Un homme qui lui ne verra pas la fragile poupée de porcelaine à cajoler, mais la jeune femme sevrée de désirs, de tendresses et d'étreintes charnelles et qui finira par devenir à ses yeux une poupée pour des satisfactions plus terre à terre. Et si celui que l'on aura parfois traité de misogyne pour son regard truculent et paillard sur les femmes avait livré avec Marie-Poupée une magnifique fable tordu sur la triste réalité de nombreuses femmes. La douce, diaphane et candide Marie aux charmes indécents d'innocence rêvait simplement d'amour et de vie de château elle ne sera finalement que l'objet d'une homme qui la possède sans vraiment l'aimer et d'un rustre qui la possèdera sans amour.
Marie-Poupée est interprétée par Jeanne Goupil la compagne de Joël Séria à la vie qui lui offre ici un magnifique rôle . La comédienne est formidable et son charme candide, son sourire innocent, ses magnifiques yeux font véritablement des merveilles. Figure de porcelaine qui se fissure, ses grands yeux rougies par les larmes lui donne une profondeur dramatique souvent bouleversante. Malheureusement dés l'instant que l'actrice en fait plus, elle a parfois tendance à en faire trop et ses crises de larmes sont souvent surjouées et bien moins bouleversante qu'un simple et tendre regard de son mari de réalisateur sur ses magnifiques yeux bouffis de détresse. Sans dévoiler la fin du film Marie Poupée se retrouve également un peu plombé par un effet visuelle assez laid, raté et un peu ridicule alors qu'il devait porter en lui une bonne partie du message et de la symbolique du film. Pas de qui renier l'intégralité du long métrage pour autant, mais l'effet moche fait tout de même un peu tâche.
Marie-Poupée est un très joli film triste et tordu qui confirme à quel point Joël Séria est un réalisateur riche et complet . Tout juste derrière Ne Nous Délivrez Pas du Mal , Marie-Poupée est assurément l'un de ses plus beau film.