(Bon, Djee, je vois que tu as été sage...)

« Votre boulot, c’est de poursuivre les criminels, pas de les punir », assène son supérieur à Dixon durant les premières minutes du film. Flic trouble, brutal et dont les méthodes sont plus proches de ceux qu’il traque que ceux qu’il représente, Dixon balade son faciès opaque et sa haine des gangsters.
Son parcours est celui d’une identité : where the sidewalk ends, comme l’annonce le très beau titre original, à la marge, il tente de trouver une place : fils de son père truand, flic douteux, il n’attend que de régler les comptes avec son passé pour se définir un avenir.
Et celui-ci lui est offert sur un plateau par une intrigue retorse et complexe : au même moment, la brutale régression qui le rend criminel, et l’irruption de la femme, tout sauf fatale, qui pourrait assurer sa rédemption.
La première partie du film est celles des plans : tout fonctionne dans la mise en scène et la création d’écrans de fumée pour masquer la vérité et laisser ce meurtre entre gangsters, faisant du flic, malgré lui, l’un d’eux. Millimétrée, jouant sur le hors champ et les risques du vu du caché, la splendide mise en espace et en lumière oppresse le personnage et le spectateur dans une longue séquence silencieuse. Tout est pensé, et tout se joue durant ces secondes vectrices de l’enquête à venir, où le flic sera simultanément l’enquêteur et le criminel.
Mais l’intelligence n’est pas l’apanage du seul protagoniste, indice d’un film noir bien ficelé : les supérieurs, qu’ils soient flics ou truands, images de l’autorité officielle ou de la noirceur paternelle, dévoilent progressivement les ratés du scénario originel et s’acharnent à le démonter, empêchant Dixon d’accéder à un nouveau récit, celui du mélodrame. Car la femme (Gene Tierney, plus discrète que dans Laura, mais non moins sublime) de l’homme qu’il a tué lui ouvre les portes d’une nouvelle existence, où l’on dort la nuit, où l’on mange à deux au restaurant et où le père est une figure sur laquelle s’appuyer.
Tendu, nerveux, le récit serre ses nœuds à mesure qu’il progresse, et met Dixon face aux fantômes du passé : tuer le père, agir pour le bien et la vérité, c’est assurer sa perte. Les deux univers finissent par fusionner, entre les mouvements superbement maitrisés des scènes chez les gangsters (la voiture dans l’élévateur, notamment) et l’immobilité des aveux conclusifs.
Econome en discours, dense par ses enjeux et l’interprétation de Dana Andrews, Mark Dixon, détective allie aux savoureux codes du film noir les épaisseurs de la tragédie œdipienne : une réussite.
Sergent_Pepper
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Policier, Gangster, Film Noir, Thriller et Les Tops de Dan

Créée

le 17 févr. 2014

Modifiée

le 17 févr. 2014

Critique lue 1K fois

36 j'aime

1 commentaire

Sergent_Pepper

Écrit par

Critique lue 1K fois

36
1

D'autres avis sur Mark Dixon, détective

Mark Dixon, détective
Docteur_Jivago
8

Where the Sidewalk Ends

Avec « Where the Sidewalk Ends », Otto Preminger réuni à nouveau Dana Andrews et Gene Tierney dans un film noir, six années après l’excellent « Laura ». Il adapte le roman « Night Cry » de William...

le 23 août 2014

30 j'aime

5

Mark Dixon, détective
Rawi
8

Critique de Mark Dixon, détective par Rawi

Six ans après le cultissime Laura, Otto Preminger retrouve son couple vedette Dana Andrews/Gene Tierney pour un film noir tout aussi splendide. Dans ce film ci la vedette n'est pas la femme fatale...

Par

le 7 mai 2013

19 j'aime

1

Mark Dixon, détective
raisin_ver
5

Critique de Mark Dixon, détective par raisin_ver

Mark Dixon détective est un bon film noir, avec une belle ambiance et un personnage de flic ambigu, trouble et troublé mais doté d'un sens moral suffisamment fort pour ne pas le perdre totalement...

le 17 juin 2011

14 j'aime

1

Du même critique

Lucy
Sergent_Pepper
1

Les arcanes du blockbuster, chapitre 12.

Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...

le 6 déc. 2014

774 j'aime

107

Once Upon a Time... in Hollywood
Sergent_Pepper
9

To leave and try in L.A.

Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...

le 14 août 2019

715 j'aime

55

Her
Sergent_Pepper
8

Vestiges de l’amour

La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...

le 30 mars 2014

618 j'aime

53