Le Lazare entrant dans la tombe
Au lieu d’en sortir comme il fit
— Guillaume Apollinaire, À la santé
Marketa Lazarová est le premier film de Vláčil sur le Moyen-âge et une première réussite majeure dans ce domaine.
Escape goat
Comme pour La Vallée des abeilles, opus similaire à peine plus tardif du même réalisateur, l'interprétation du Moyen-âge est ici bien plus viscérale et désabusée que ce à quoi le cinéma occidental nous a habitué. Ici, point de grands châteaux en pierre de taille. Ce sera au mieux un fortin crasseux en pierraille. Le seul bastion digne de ce nom, censé représenter une ville, sera un lieu de pouvoir et de mort inaccessible. Il n'est ici point non plus de chevaliers pétris d'héroïsme et parés de magnifiques armures. L'unique paladin qui ira trop témérairement au casse-pipe, plus par orgueil que par bravoure, n'est qu'un noble vaniteux qui porte une armure cabossé, associée à un archaïque heaume empenné. Il sera proprement hérissé par moult dards, un plan lapidaire s'attardant le temps d'un soupir sur son cadavre pathétique.
Le jeu de l'amour et du Lazare
Visuellement, l'aspect rustique donné à ce Moyen-âge arriéré reste également toujours aussi bluffant : entre boue et neige, dans un salmigondis organique et minéral de terre, de bois, de mauvais acier et de fourrure, toujours crasseux. Il est difficile de ne pas faire le parrallèle avec l'œuvre de Guerman, Il est difficile d'être un dieu, qui semble s'être grandement inspiré de ces esthétiques glaiseuses. Et, j'allais oublier, le film proposer une galerie de gueules, de vraies gueules. C'est tout autre chose que les visages angéliques, poupins et grâcieux que l'on peut voir habituellement. Acrochordons et paires d'yeux caves, malformations et corps hâves sont la norme. Le seul visage séduisant, appartennant à la fameuse Marketa, ne fera que cristaliser les envies des autres malandrins. Pour cette raison, elle sera impitoyablement enlevée, puis violée.
Tchèque en bois
Le noir et blanc est aux petits oignons malgré quelques faiblesses, somme toutes relatives, où le contraste faiblard engendre parfois l'équivoque. L'image se retrouve malheureusement souvent trop sombre pour les plans nocturnes. Artistiquement l'intention est louable, mais d'un point de vue technique, une pellicule en 35 mm dans la République Tchèque des années 1960 est un équipement beaucoup trop juste pour arriver à un résultat convaincant lors d'un tournage de nuit au sein d'un château. Le résultat n'est donc pas à la hauteur de ses ambitions. On pourra également reprocher le jeu d'acteur placide, voire hiératique, presque omniprésent ainsi qu'une absence de conviction et d'intonation qui force souvent le respect. L'intensité des regards et les rares fulgurances compensent certes quelque peu, mais cela n'aide pas vraiment à rendre un peu plus vivant ce film aux allures de sépulcre. Mais après tout, aussi désagréable cela soit-il à nos yeux, ce n'est que le style slave de l'époque.
Adieu chantante ronde
Malheureusement encore, la temporalité est beaucoup moins réussie que la photographie ou la réalisation. Le scénario étant peu touffu, le film est beaucoup trop étiré pour ce qu'il s'y passe et la narration polyphonique se trouve ponctuée de flashbacks parfois peu clairs. Preuve en est sa durée de presque 2h40, soit une heure entière de plus que son successeur, pour une intrigue pas spécialement plus riche. Ce n'est pas un hasard : Marketa Lazarová est clairement trop long. Après toutes ces qualités, c'est quand même bien dommageable. Il reste cependant rassurant de constater une ambiance sonore soignée et des chants, tout aussi polyphoniques que la narration, savamment distillés.