Un « chef-d’oeuvre », le « meilleur film tchèque de tous les temps », un des « meilleurs films traitant du Moyen-Âge », ...


C’est par ces affirmations dithyrambiques que le film m’a été présenté. Préférant ne jamais trop lire de critiques avant de me lancer dans le visionnage d’une oeuvre, je ne suis pas allé plus loin. Mais si je l’avais fait, mon entrain aurait été renforcé : des plans magnifiques, un lyrisme sans égal, un esthétisme à couper le souffle, un récit épique d’une grande spiritualité... qui pourrait ne pas désirer voir un tel film?


Et pourtant ne vous y trompez pas, car comme la majorité des spectateurs sortant de cette pénible séance, je suis ressorti avec une sévère indigestion cinématographique et le sentiment de m’être fait duper.


Je pourrais reprendre le synopsis d’une critique concurrente ou un résumé Wikipédia pour présenter le film, mais je vais plutôt vous introduire le récit tel que je l’ai compris... (et encore, à la lecture de divers résumés, certains éléments ne collent-ils toujours pas)


Sur la voie Royale traversant le Compté de Roháček, une caravane de nobles saxons se fait attaquer par des membres du Clan Kozlík. S’engage ensuite une querelle sanglante avec un Clan voisin, les Lazar, dont ils enlèvent la fille (Marketa Lazarova). Le capitaine du Roi, chargé de faire régner (tant que faire se peut) l’ordre dans la région se met alors à la poursuite du Clan Kozlík, et particulièrement de son chef, surnommé « Le Bouc ».


Le pourquoi de la querelle entre les deux clans? Obscure. En vérité, à la lecture de résumés, il s’avère que les membres du Clan Lazar pillaient le butin de la caravane attaquée par les Kozlík. Néanmoins, le rythme inégal du film, les plans dissemblables (tantôt, la caravane est au milieu de plaines enneigées, tantôt au milieu des bois), les « gueules de gueux » interchangeables, les prises de son chaotiques (et l’impossibilité d’identifier les interlocuteurs qui en résulte) m’ont empêché de comprendre ce qui était manifestement l’élément déclencheur du récit.


Or, s’il peut arriver que certains éléments d’intrigue nous échappent, même dans des films au scénario simpliste - parce qu’on a mal identifié un visage, mal retenu un nom, baillé au mauvais moment -, il est difficile de blâmer le spectateur lorsque chaque évènement, chaque scène, chaque plan est incompréhensible.


En effet, le premier défaut de Marketa Lazarova est qu’il vous rappelle à chaque instant qu’il est en souffrance : il manque d’un scénariste, d’un cadreur, d’un monteur, d’un ingénieur son ...


Dépourvu de tout son autre que les dialogues (à quelques rares exceptions près), il est difficile de comprendre les déplacements, les mouvements, les actions des protagonistes. Les dialogues, souvent ampoulés et proches du monologue, s’étirant fréquemment sur plusieurs plans successifs sont difficiles à attribuer à l’un ou l’autre personnage, si bien qu’on ne sait jamais vraiment qui dit quoi (d’où l’utilité de la règle des 180° ou... de montrer la personne lorsqu’elle commence à parler, ça aide à ne pas se demander s’il s’agit du narrateur, de truc ou de muche, voire de machin bidule, là, au fond). La prise de son ayant manifestement été chaotique, certains dialogues ont apparemment été redoublés (certains mouvements de lèvre ne correspondent absolument pas à ce qui est dit), ce qui rend l’attribution des dialogues encore plus obscure. Sans compter l’absence totale de mixage qui fait qu’il est impossible de situer une parole ou un son dans l’espace (et donc de le lier à tel personnage ou à tel évènement).


Outre les dialogues, les scènes se succèdent avec une logique étrange : les actions de ne se suivent pas nécessairement, certaines semblent être des flash back, les intertitres annoncent parfois un évènement ou décrivent une ellipse sans que cela soit clairement indiqué.


Mais plus que l’enchaînement des scènes, c’est leur le montage chaotique qui est un frein supplémentaire à la compréhension globale du récit. Les décors changent parfois au sein d’une même scène, les points de vue se multiplient sans raison apparente, perdant le spectateur qui ne sait pas exactement ce qu’il est supposé regarder, le tout ajouté à une superposition cacophonique de dialogues - car oui, tout le monde a tendance à parler et/ou chanter en même temps, dans ce film. En plus des nombreuses ellipses scénaristiques semi-annoncées par les intertitres accompagnant les différents segments de l’histoire, les scènes elles-mêmes sont parcourues d’ellipses! En effet, certaines actions ne sont tout simplement pas montrées, alors qu’elles sont supposées se produire hic et nunc, sous nos yeux... mais non. Cut. Et voilà, c’est fait, la scène continue comme si de rien n’était. Les ellipses sauvages vous perturbent? Ne vous en faites pas, le film cultive également les ruptures de registre! D’une présentation factuelle, la scène passe furtivement tantôt à l’onirisme, à la métaphore, au symbolisme... sans que rien de tout cela ne soit prévisible ou expliqué, bien entendu. Au spectateur de comprendre quelles actions ont réellement lieu, lesquelles sont des clefs de lecture, et lesquelles sont simplement là pour faire joli.


Car oui, il y a de jolies images. Quelques plans qui m’ont fait furtivement oublier que j’étais prisonnier depuis 3 heures (qui m’en ont parues 10!). Mais à ce stade, une exposition photo aurait suffi. Au moins, je peux choisir à quel rythme je regarde chaque image!


En résumé, je ne comprends pas comment un ce film a pu remporter un tel succès critique. Ses fulgurances esthétiques ne peuvent le justifier à elles seules. Je lis que le film porte un sous-texte sur la transition du monde païen vers le christianisme, le rapport au pouvoir (notamment régalien), le choc culturel... désolé, je n’en ai rien vu. À peine ai-je pu bricoler un semblant d’histoire de rivalité entre deux clans (sans en comprendre le fondement), entrecoupée d’éléments inexpliqués. Et qu’on ne me dise pas que le film est complexe ou que j’ai mal compris! Il est parcouru d’erreurs de cinéma basiques, des erreurs qui vous rappellent pourquoi un réalisateur seul ne suffit pas pour créer une telle oeuvre. S’il n’est dit qu’à la fin du film qu’un des rescapés de la caravane attaquée dans la première scène est en fait un futur évêque, comment espérer qu’il me soit possible de comprendre que ses interactions avec les autres personnages sont en fait un sous-texte sur la religion?


Je n’en veux pas au film d’être obscur. Je lui en veux d’être un mauvais film, c’est-à-dire qu’il échoue à tous les niveaux de sa narration. Un film n’est pas une compilation d’images et de sons chaotiques, il lui faut une mise en forme. Or, cette dernière était manifestement absente.


Ah! Oui, tant qu’on y est. Marketa? C’est un personnage secondaire, en fait. Alors n’espérez pas voir son histoire. Si vous espérez voir une histoire tout court.


Si vous désirez voir un film traitant de cette période trouble, entre christianisme et paganisme, je vous conseille plutôt « Le Seigneur de la Guerre », avec Charlton Heston. Peut-être n’est-ce pas un monument du cinéma, mais promis : il y a un scénariste, un dialoguiste, un monteur et un ingénieur son.

Ezechielle
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le 31 mai 2019

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