Décidément, avec 12 Strong, le cinéma étasunien semble décidé à se pencher plus sérieusement sur la guerre d’Afghanistan (la guerre en Irak lui ayant très clairement volé la vedette), et ce manifestement sous un angle spécifique : la résistance héroïque de quelques hommes face à des hordes de Talibans - dans le cas présent, alors qu’ils se trouvent retranchés en creux de vallée, en dépit du bon sens stratégique le plus élémentaire.
Rien d’illégitime en soi, d’autant que nombre de rôles sont joués par ceux-là mêmes qui ont vécu les événements (bien réels) relatés dans le film. Par certains aspects, le l’oeuvre est probablement salvatrice : elle montre le dénuement de certains soldats, que l’on suppose à tort toujours sur-armés et sur-équipés, l’incurie du commandement, la difficulté d’établir une relation de confiance avec la population locale (elle-même prise entre deux feux)et l’absence de soutien qui en découle (y compris des forces afghanes). Un élément frappant, qui aurait probablement mérité davantage de développement, est le marchandage fondamentalement malsain qui s’opère avec les civils : l’argent que les militaires américains distribuent achète davantage leur sécurité qu’il ne finance les divers projets de reconstruction supposés « gagner les coeurs et les esprits ». Chaque tension, chaque mort remet en question les accords passés entre civils et militaires et la solution passe systématiquement par un chantage financier entre des soldats en sous-nombre et dans une position stratégiquement désavantageuse et des civils miséreux, mais également bien décidés à profiter de ceux qu’ils perçoivent avant tout comme des envahisseurs (au même titre que les Britanniques et les Soviétiques avant eux). Enfin, le film possède une intensité certaine et retranscrit bien l’insécurité permanente vécue par des soldats qui croupissent bien plus dans leur camp qu’ils n’occupent le terrain.
Malgré ces qualités, et bien qu’il serve très certainement de catharsis pour les soldats qui y jouent et nombre d’Américains qui ont été touchés d’une manière ou d’une autre par cette guerre, le film reste avant tout une ode sans nuance à l’héroïsme américain, au courage de ses soldats, à leur sens du devoir et du sacrifice. Par contraste, les soldats afghans sont veules, sinon parfaitement lâches, les civils sont fourbes et intéressés, au mieux hostiles. Quant aux combats, ils nous servent les habituelles vagues de tir au pigeon, là où chaque victime américaine nous est montrée avec emphase et compassion.
Partir du récit des soldats a l’avantage indéniable d’apporter un regard un peu différent par rapport à ce que ce genre de films propose habituellement, mais il limite aussi considérablement les points de vue divergents en déshumanisant un adversaire aux motivations complexes et vivant lui aussi son lot de tragédies. Encore une fois, en se focalisant sur la souffrance des siens, le cinéma américain échoue à présenter la guerre dans sa complexité et à critiquer la politique étasunienne sur le fond, les ennemis combattus demeurant sous-développés, barbares et vénaux. Si The Outpost n’est certainement pas le seul film de guerre à souffrir de ce défaut, et si une Amérique fracturée cherche de manière bien compréhensible à trouver un semblant d’unité à travers l’héroïsme de ses soldats, il ne fait qu’entériner le constat fait par l’écrivain Viet Thanh Nguyen dans une critique de Da 5 Bloods, parue dans le New York Times (https://www.nytimes.com/2020/06/24/movies/da-5-bloods-vietnam.html) : le jour n’est pas encore venu où Hollywood montrera les guerres américaines en intégrant un autre point de vue.