Si l'on considère le pourcentage de plus en plus élevé de gens qui sont passés par (au moins) un divorce, on peut raisonnablement se demander pourquoi le cinéma n'a pas encore traité "correctement" le sujet... C'est désormais chose faite avec cet éblouissant "Marriage Story" (un titre faussement ironique mais finalement révélateur de l'approche de Baumbach), dont on n'espérait franchement pas tant : entre l'étiquette "Netflix" pour le moins aléatoire et le pedigree irrégulier de réalisateur indie tout juste moyen de Baumbach, comment s'attendre à une telle justesse, à un tel impact ? Loin, très loin du larmoyant "Kramer vs. Kramer" d'assez triste mémoire, "Marriage Story" considère frontalement et sans baisser les yeux le désastre intégral de la déconstruction du couple, de la famille, de l'amour, rongés par le processus juridique - en particulier - du divorce. Et ça fait mal, très mal. Sans doute plus mal à tous / toutes ceux / celles qui ont vécu des situations similaires et reconnaîtront les détails de leur enfer personnel...
Sans pathos, mais non sans émotion (nos larmes couleront plusieurs fois pendant le film, mais sans que le scénario - très factuel - ou la mise en scène - très sobre - les aient particulièrement stimulées...), le film nous met peu à peu devant la destruction de tout ce qui a pu exister entre deux êtres qui se sont aimés. Jusqu'au geste final, dérisoire mais bouleversant, ce lacet qu'on rattache, cette (toute) petite victoire contre la rancoeur, la médiocrité, les mesquineries, contre tout ce qu'on n'a jamais voulu ni être ni faire, mais qu'on a été ou qu'on a fait quand même.
Prodigieusement interprété par deux acteurs emblématiques (Scarlett, qu'on adore voir ainsi en femme toute simple, même si le film lui assure un effet "méta" amusant ; Adam, immense comme à l'époque de "Girls", qui nous offre en plus un bouleversant numéro de crooner pour (presque) clore le film sur une note de classe infinie...), "Marriage Story" s'appuie sur une multitude de personnages secondaires délicieusement croqués (la palme revenant quand même à Laura Dern, décidément meilleure actrice de film en film...). Mais il sait aussi nous faire rire grâce à quelques scènes qui ont presque l'élégance du Woody Allen de la grande époque.
Mais s'il y avait une scène et une seule à retenir du film, ce serait sans nul doute celle de la confrontation "ultime" entre les époux qui ne le sont plus, où la parole s'emballe et où toute la vérité d'une relation qui a été belle est emportée par la déraison la plus violente. Oui, c'est là sans conteste l'un des plus forts moments de cinéma qu'on ait pu voir en 2019.
[Critique écrite en 2019]