Nouvelle variation sur les affres on ne peut plus communs du couple, Marriage Story brille par son manque d’originalité, que ce soit dans la filmographie de Baumbach (qui reprend un thème déjà abordé dans Les Berkman se séparent il y a 13 ans) ou dans la radiographie du couple contemporain par le biais d’un quelconque récit. Et c’est bien là le souhait du cinéaste que de prendre à bras le corps cet épisode de l’épreuve du divorce, pour en disséquer les rudesses et la manière dont il amène à s’imposer un bilan de vie.
Le duo en voie de séparation est évidemment un joli exercice de style pour les comédiens, Adam Driver d’un côté, très à l’aise dans la partition indie, et Scarlett Johansson qu’on voit trop rarement dans un cadre réaliste (et à qui le cinéaste offre un petit clin d’œil satirique sur son quotidien d’actrice sur fond vert dans une scène de tournage pour le moins cocasse).
La trame narrative vise surtout à exacerber les gouffres : entre M. et Mme, deux mondes vont s’affronter : NY et le théâtre d’avant-garde pour l’un, LA et l’industrie hollywoodienne pour l’autre. Au milieu, un enfant qui n’en demandait pas tant et au nom duquel les désirs d’un accord à l’amiable vont prendre du plomb dans l’aile. Chaque scène vise à prendre la mesure de l’éloignement, et effrite la bienveillance qu’on avait cru acquise. C’est sur cette thématique que l’écriture est la plus incisive : à mesure qu’on externalise, le couple relit son histoire. Digérée par les avocats (dont Laura Dern, sublime) qui font de chaque élément une attaque en règle du conjoint, ou lorsqu’il s’agit de jouer au parent exemplaire devant un conseiller qui impose une performance forcément mensongère, à l’image de cette sinistre farce durant laquelle le mari finira par se trancher le bras tout en prétendant gérer parfaitement la situation. Ce bilan amer conduit les protagonistes eux-mêmes à réévaluer tout ce qui a pu être, biaisant les bienfaits de la parole ou de l’introspection pour un déballage qui se transforme en complaisance nihiliste dans une des séquences les plus fortes où l’on assiste à ce crescendo haineux où, réellement, les mots dépassent la pensée. Cette maïeutique du ressentiment irrigue la banale étude de mœurs et propose une lucidité assez mélancolique non pas tant sur la notion de couple que sur les individus qui le compose. Ainsi, chacun accuse l’autre d’égoïsme sans qu’il soit possible de lui donner entièrement tort, et le statu quo rend la séparation bien plus douloureuse.
Dans ce cercle vicieux, la satire n’est qu’une façade, et les quelques moments d’humour (comme cette répétition pour remettre l’assignation du divorce, par exemple) sont souvent le prélude à des larmes d’autant plus contagieuses.
Au terme de cette entreprise qui semble surtout viser à ruiner financièrement et moralement les protagonistes, les piques auront été équitablement distribuées, et personne n’aura été épargné. Mais dans ce marasme surgit l’ébauche d’un modeste miracle : ce ballet douloureux toujours suivi avec bienveillance et délicatesse aura surtout permis une profonde empathie pour les fragiles humains mis à l’épreuve.
(7.5/10)