Difficile d'évoquer Martyrs sans parler de sa distribution en salle plutôt houleuse. Interdiction au moins de 18 ans mettant en péril l'étendu du réseau de salle enclin à distribuer le film, report de la sortie, tractation avec le ministère de la culture, scandale dans la presse, etc...
Le moins que l'on puisse dire c'est que le second film de Pascal Laugier à fait couler beaucoup d'encre et se sera forgé une solide réputation avant même que quiconque ait pu voir une image du film. Pas forcément le meilleur climat pour aborder un film de façon sereine.
N'oublions pas que derrière les polémiques et les agitations se cache un film. Que vaut il vraiment ?
-Martyrs dans le tas
Dans les années 70 une fillette, Lucie, s'échappe d'une usine où elle a été séquestrée et torturée sans que l'on ait de véritables raisons et encore moins de coupables. Recueillie dans un orphelinat elle peine à retrouver la sérénité mais trouve chez une autre fillette, Anna, une amie et surtout un point de stabilité auquel elle peut se raccrocher. 15 ans plus tard elle croit retrouver ceux qui lui ont fait ça et part se venger.
Ce pitch de départ d'une simplicité et d'une limpidité extrême pouvait donner lieu à un bête revenge flick tout à fait banal. Mais dès le départ le film nous indique qu'il ne sera rien, aussi brutal que soudain le film va immédiatement au fait instillant le doute chez le spectateur à travers la certitude aliénée de Lucie devenue adulte. Le film expédie en effet très vite la composante vengeresse pour s'en servir de noeud dramatique autour duquel va s'articuler la relation entre Anna et Lucie. Mylène Jampanoï est tout simplement impressionnante dans le rôle de Lucie, dés les premiers plans où elle apparaît elle imprègne la pellicule et bouffe littéralement l'écran. La mise en scène brutale et sans détour participe énormément à l'aura de ce personnage que l'on devine aussi fragile que les actes qu'elle commet sont violents.
A ses côtés Morjana Alaoui est tout aussi bluffante mais dans un registre bien différent. Plus posée, plus rationnelle et plus effacée elle se présente comme le miroir dans lequel se retrouvera le spectateur. Un procédé efficace et qui prendra toute sa valeur au fur et à mesure que le film avance.
Si le film à fait tant parler de lui c'est à cause de sa violence omniprésente et extrême et il faut bien reconnaître que les deux qualificatifs ne sont pas usurpés. De la première à la dernière image ( et ce n'est pas une façon de parler ) la violence n'est pas seulement palpable mais bel et bien présente, objectivement, physiquement à l'écran. La violence n'est pas un élément plastique du film puisque le script est intégralement construit autour de ça. En voyant le scénario naviguer entre différentes formes de violences il parait évident, dés lors, de voir la violence comme le sujet principal du film.
La violence peut elle avoir un but ? Au delà de la souffrance qu'y a t'il ? Quelle relation l'être humain tisse t'il avec la violence ?
On peut comprendre certaines réactions puisque le film touche à l'un des grand tabou de notre société qui est la mort et ses corolaires. Se refusant à toute pudeur Pascal Laugier ne détourne donc jamais la caméra des choses les plus laides et dérangeantes qui peuvent se passer au cours de cette histoire étouffante. Habillant son image d'une lumière éclatante il est en perpétuelle recherche du réalisme visuelle afin de trouver dessous la vérité symbolique de ses images.
Un partit-pris casse gueule mais qui évite toute fois certains écueils habituels de cette démarche, en effet on évite ici l'irritant syndrome du "je film façon documentaire parce que ça fait vrai". On reste toujours bel et bien dans un exercice de fiction purement cinématographique, bien que toujours obsédée par l'immédiat et le choquant ( oublions ici les mouvements de caméra complexes ) la mise en scène utilise ses outils de cinématographie au mieux pour "mettre en valeur" la violence: montage percutant ( bien qu'une tendance au sur-découpage handicape certains passages ), travail sonore remarquable et rythme travaillé. Le résultat fonctionne plutôt bien, puisqu'on ressent de manière vraiment physique et épidermique la douleur. Un élément au coeur même de la démarche du cinéaste puisqu'il s'appuiera dessus pour tisser le déroulement de son intrigue et donner une puissance assez incroyable à certaines de ses séquences, surtout sur la fin du film qui est un véritable grand huit pour le cerveau et les tripes.
-Martyrs à blanc ?
Le film est construit en 3 grandes parties bien distincte et séparée par une transition bien marquée. Chacune des parties s'articule autour de 3 formes de violence et de comportement vis à vis d'elle: la démence, la compassion et la torture.
Si un fil rouge se tisse au fur et à mesure entre ces 3 angles il faut reconnaitre que ce choix à tendance à nuire au film. En effet chaque partie possède son identité visuelle et sa progression narrative qui lui est propre. Le vice est poussé jusqu'à offrir un début et une fin à chaque partie les rendant quasiment autonome. En résulte l'impression inévitable d'assister à une succession de 3 courts métrages partageant les même personnages.
On a souvent parler de violence gratuite pour résumé Martyrs et s'il serait parfaitement injuste de réduire le film à ce simple adjectif, il n'en demeure pas moins que le film manque parfois de pertinence vis à vis de son sujet. Mécaniquement on en vient à séparer puis confronter ces macro-blocs de films.
Et si dans le mouvement naturel du film on est happé par l'efficacité mordante du premier segment ménageant doute et montés d'adrénaline, rétrospectivement on se rend compte qu'il y a un comme un décalage vis à vis du fond global du film, presque comme une arnaque visant à détourner l'attention. Cela aurait pu être tout à fait intéressant mais dans la mesure où finalement peu de choses sont réellement utiles au message du film ça devient en fait assez gênant. Car plus on avance dans Martyrs et plus on assiste à une sorte d'essai philosophique et théorique sur la violence et le recours au suspens et au éléments à la limite du fantastique de la première moitié sonne de plus en plus comme un pur exercice de style qui n'a, par conséquent, pas vraiment sa place. Ni le script, ni la mise en scène du reste du film n'en tiendra compte pour alimenter le débat, c'est à ce moment là que la cohérence du film paye cette structure trop compartimentée du scénario.
Idem pour la seconde partie on pourra regretter l'abus de quelques gros plans gore qui ont tendance à sortir le spectateur de l'émotion que peuvent dégager ces scènes. Le milieux du film plonge ainsi dans le ridicule, embarrassant tant ce segment cherche à faire vibrer la corde de l'empathie.
C'est finalement le dernier tiers le plus intéressant puisqu'il fixe définitivement le cadre du film et de ses enjeux. La violence apparaît comme moins gratuite mais l'accumulation de twists boiteux et d'explications lourdingues tend à discréditer l'édifice.
Si le film traite beaucoup de la mort et de la souffrance il ne traite finalement que peu de la vie. Dis comme ça ça paraît con mais pourtant le film dissémine des éléments sur la sexualité qui ne sont jamais exploités mais qu'on ne peut s'empêcher de remarquer. Le film ne cherche pas de justification ou de morale mes les seuls éléments qui se rattache à ces aspects tournent autour de la féminité et plus particulièrement de la sexualité féminine ( la relation entre les deux héroïnes, le regard de leurs proches, le personnage de Mademoiselle, le choix de victimes, etc... ). On ne peut s'empêcher de penser qu'une partie du film tourne autour de ça à la vue de ces différents éléments et de leur importance dans le montage ou dans le déroulement de l'histoire mais ce n'est jamais traité.
Dés lors on peut se demander si ces pistes ne sont pas là un peu gratuitement ou si quelque chose nous échappe vraiment. Loin d'être majeur dans l'appréciation du film cet élément fait malgré tout office de petit grain de sable obscur.
On soulignera que le film est soutenue par une cohérence artistique admirable et très travaillée. S'appuyant sur des maquillages de qualité qui réussissent le tour de force d'être omniprésent et complexe mais jamais kitsch.
-Martyrs au but ?
Viscéral et sans concession dans son approche et sa réalisation le film n'est clairement pas à mettre dans toutes les mains mais possède cette étrange élégance de ne pas chercher à vouloir être dans toutes les mains.
Au delà de l'expérience sensorielle le film apparaît un peu vain puisqu'il s'arrête finalement à un constat assez simpliste ( la douleur ça fait mal... non sans dec' ? ) et peine à offrir des perspectives plus vastes. Si le film n'avait pas chercher à jouer la carte du pensum sur la fin peut être n'aurait-on pas été face à ce genre de considérations.
Ce soucis est finalement révélateur des défauts structurels du métrage qui se laisse déborder par son sujet puisque chacun pourra s'y retrouver dans l'une des 3 parties du film mais peu arriveront à trouver un réel intérêt une fois les 3 parties visionnées à la suite. Un pari osé pour un film malheureusement trop creux et trop vain.