MARVIN ou la belle éducation (14,8) (Anne Fontaine, FRA, 2017, 113min) :


Sensible plongée dans la vie de Marvin, jeune adolescent qui a fui sa famille vivant dans un petit village des Vosges pour changer son destin en intégrant une école de théâtre. Depuis 20 ans le nom d'Anne Fontaine me revient toujours à la source de la découverte percutante de son cinéma avec Nettoyage à sec (1997). Une rencontre troublante avec cette cinéaste que je suis depuis ce premier choc avec fidélité à chacun de ses projets. J'ai donc suivi sans en perdre une miette de sa pellicule ces chemins de traverses parfois chaotiques empli de films bancals et d'autres plus aboutis comme Comment j'ai tué mon père (2001), Entre ses mains (2005), Coco avant Chanel (2009), Perfect Mothers (2013) et plus récemment avec le brillant Les Innocentes en 2016. Mais jamais jusqu'alors, je n'avais retrouvé le goût du rêche qui me touche à fleur de peau, émotions retrouvés par le biais de cette libre adaptation du roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule publié en 2014 par Edouard Louis. Anne Fontaine s'empare de cette matière personnelle pour nous livrer un intense parcours d'émancipations de son milieu social et découverte morale intime par le biais du théâtre d'un jeune homme en quête d'identité et du sens de sa vie. La réalisatrice mise sur une réalisation immersive du point de vue de Marvin, enfant rejeté, brimé voire molesté par sa famille et certains de ses camarades d'école. Sa mise en scène accompagnatrice montre la reconstruction par étapes de ce gamin devenu adulte pour s'affranchir mentalement des brimades et des blessures occasionnés par une famille socialement et culturellement déclassé par le biais de l'art et la culture théâtrale. La caméra d'Anne Fontaine manque parfois d'audace mais suit avec honnêteté intellectuelle cette évolution sans tomber trop dans le misérabilisme pathos malgré la dureté de certains passages et le portrait peu avantageux de cette France prolétarienne bien réelle (loin des considérations et de l'intelligentsia des critiques cinéma du café de Flore de LIbé, les inrocks et Télérama). A travers différentes rencontres (parfois brossées trop superficiellement) Marvin va trouver des alliés, pères ou mères de "substitutions" pour se tenir debout et s'extirper de son passé de boue. Grâce à ses différents soutiens bienveillants, Marvin Bijou, devenu Martin Clément, pour nom de scène et comme pour mieux s'éloigner d'une filiation trop lourde à porter va s'aventurer à l'expérience des planches pour raconter son histoire, écrite régulièrement sur un petit cahier d'écolier comme une cure cathartique. La réalisatrice offre par petites touches impressionnistes un récit mélancolique de fuite du déterminisme social sans mépris de classe, malgré homophobie et racisme ordinaires avec une narration sur deux temporalités (l'enfance / l'âge adulte) ponctués de nombreux flashbacks, ne cessant de nous indiquer les conséquences du passé sur le présent. Des allers retours temporels mosaïque dans un montage limpide pour mieux suivre la transformation, l'acceptation de soi et de sa "différence" intime et l'envie profonde d'un retour vers les siens en forme de résilience, car on échappe jamais totalement à nos racines filiales et ces liens invisibles universels qui unissent enfants et parents. Anne Fontaine s'appuie judicieusement sur une troupe d'acteurs tous touchants. Du débutant Jules Porier jouant l'enfance fragile de Marvin, en passant par l'impeccable Finnegan Oldfield assez poignant, bien accompagné par l'immense Gregory Gadebois, la bienveillante Catherine Mouchet, le formidable Vincent Macaigne en metteur en scène de théâtre bienveillant ainsi que l'efficace Charles Berling et la reine Isabelle Huppert dans son propre rôle notamment, ce casting royal est au diapason de l'histoire, sincère ! Venez accompagner avec empathie ce superbe portrait romanesque fragmenté, d'un homme qui réinvente sa vie par la sublimation de l'art, et un hymne à la tolérance dans ce magnifique Marvin ou la belle éducation. Âpre. Intègre. Bouleversant.

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le 23 nov. 2017

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