Giallo pop
Un tueur en série sème les cadavres dans un terrain vague qui jouxte un lycée. Cette situation perturbe à peine la vie d’un groupe de lycéennes, vaguement effrayées par la présence possible d’un...
le 20 mars 2017
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Une série de meurtres ébranlent un quartier de Rio, et c’est tout un imaginaire qui s’éveille ou se cristallise chez un groupe de jeunes filles en fleurs. Dans les objectifs qu’elle se fixe et les moyens employés - faire un portrait de la jeunesse de classe moyenne à grands renforts d’esthétique maniériste et colorée -, Anita Rocha da Silveira se coule à première vue dans une voie très empruntée. Au final, la jeune cinéaste parvient à exprimer sa singularité à travers ce coup d’essai prometteur, dont les sinuosités déroutent et fascinent.
La chute impromptue d’un objet venant interrompre une chorégraphie, le silence de la nuit pour seul réconfort à l’issue d’une party, une étreinte muette après un accès de violence – autant de variations par lesquelles le récit reprend à son compte une certaine imagerie de l’adolescence pour mieux en renverser les perspectives, en dévoiler l’envers. Erotisme et morbidité des corps, pulsions de sexe et pulsions de mort, se côtoient il est vrai avec une évidence appuyée, à force de ressassement et de parallèles théoriques. Pourtant, s’arrêter là serait ne pas voir le dénominateur commun qui travaille insidieusement les personnages, sous les postures pop et les néons bigarrés : le sentiment, lourd et amer, d’une incommensurable solitude. De fait, les explosions de couleurs qui structurent chaque image ne sont jamais plus belles que confrontées au seuil de leur propre effacement, comme dans ces magnifiques séquences nocturnes où une jeune fille marche, seule, sur le bord de la route, en lisière d’un territoire sauvage où se catalyse les tensions : visage et corps s’y partagent sans cesse entre visibilité et disparition, à mesure qu’ombres et lumières viennent les recouvrir.
De Bia, s’isolant progressivement de son entourage dans sa quête d’expériences toujours plus extrêmes, jusqu’à João, son grand frère retranché derrière un ordinateur pour pallier l’absence d’une fille qui l’obsède, en passant par Mariana, l’amie de Bia qui aime secrètement João, Mate-me Por Favor baigne dans une véritable atmosphère de déréliction : au pays des affres adolescentes, les émotions et les désirs isolent plus qu’ils ne lient. Les multiples regards caméra qui jalonnent le récit ne disent pas autre chose : pointe de défi, parade de séduction ou appel à l’aide, ils incarnent cet état d’une jeunesse livrée à elle-même, figée dans ses représentations et son mal-être (à l’image d’It Follows, c’est un univers en vase clos, déserté par les figures d’autorités, si ce n’est une prêcheuse évangélique convertie au langage médiatique). Ce faisant, plus le film avance, plus le groupe apparaît comme une somme d’individualités qui ne fait pas corps. Par sa troublante régularité, ce motif de l’adresse frontale fait glisser le récit des références et autres codes de cinéma de genre vers quelque chose de plus indécis, plus englobant : chacune des protagonistes prend à témoin le spectateur, et c’est comme si, par le biais des images, toute une génération tentait de se livrer dans son intimité déréglée.
La séquence inaugurale, en éludant une menace par là même rendue abstraite, devient la matrice du film entier : les assassinats qui se multiplient semblent l’œuvre d’une entité sans visage ni corps, idée plutôt que forme. De fait, les victimes ne seront pas connues, et le fin mot de l’histoire jamais livré : Mate-me Por Favor n’esquisse pas tant une typologie binaire de simple thriller, qu’une circulation de forces opaques qui régissent le monde en sourdine, un état général des corps voués à la jouissance mais in fine promis à la décomposition. Lieu privilégié d’une horreur en prise avec les légendes, rumeurs et autres fantasmes, un terrain vague situé en marge de la ville cristallise ce mal invisible qui agite des âmes perdues dans leur propre quête, où tourments et fragilités se confondent. Cette cartographie précise d’une fiction partagée entre plein – verticalité et foisonnement d’un quartier de Rio en plein essor – et vide – cet espace du mystère et de l’absence longeant la ville – est de celle qui crée un imaginaire sans renier une certaine réalité du monde.
Le film d’Anita Rocha da Silveira s’achève sur un plan aussi beau qu’énigmatique : à l’aube, une armée de silhouettes juvéniles émerge des herbes hautes, progressant vers l’imposante ville trônant à l’horizon. Cette constellation de solitudes qui épousent un mouvement commun, faisant se substituer à la vague de meurtres une vague de corps en marche, synthétise la démarche de la cinéaste : filmer, par-delà les singularités, une force unique – celle d’une jeunesse aux prises avec la noirceur des choses autant qu’avec sa propre nature. Et l’étrange titre de prendre alors tout son sens : par cette supplication morbide en forme d’épreuve intime, il s’agit de faire de la mort une compagne, une amie, et de vaincre la terreur qu’elle suscite en l’apprivoisant, jusqu’à s’abandonner à son arbitraire.
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Créée
le 1 mars 2017
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