Red Coal
Le récit de Matewan s’inspire de faits réels s’étant déroulés en 1920 dans une petite ville minière de Virginie-Occidentale. Pour protester contre la baisse du prix du charbon à la tonne, les mineurs...
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le 7 févr. 2021
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"Matewan" est à ranger dans le tiroir des rares films états-uniens à aborder le thème de la résistance syndicale d'hier ou d'aujourd'hui contre l'oppression patronale sous une perspective ouvertement socialiste — représentation du diable pour une majorité du pays assurément, peut-être même davantage en 1987 qu'en 2023. Parmi ses meilleures illustrations, on peut penser à "Norma Rae" (1978 en Alabama dans une usine textile, focalisé sur la condition d'une femme divorcée), si l'on rajoute la composante de ségrégation vient à l'esprit "Blue Collar" (des ouvriers d'une usine automobile se découvrent presque par hasard une conscience syndicale et s'unissent spontanément), et en reprenant le contexte des mineurs, c'est "The Molly Maguires" qui s'impose (un groupe de mineurs irlandais immigrés aux États-Unis en 1876 et les sabotages qui structurent et détruisent les organisations syndicales).
Il est ici question de l'adaptation de faits survenus en 1920 en Virginie-Occidentale, connus sous le nom de massacre (ou bataille) de Matewan : les conditions qui ont conduit à un affrontement violent et meurtrier entre des mineurs et des cousins éloignés des agents Pinkerton, ici envoyés par l'agence Baldwin-Felts Detective pour désamorcer la grève par tous les moyens possibles.
Curieux choix que celui de Chris Cooper au tout début de sa carrière pour incarner Joe Kenehan, le leader syndical envoyé sur place pour structurer l'opposition aux signes grandissants d'exploitation des mineurs. Disons qu'on est un peu en manque de charisme, d'empathie et de vigueur, loin d'un Sean Connery, d'une Sally Fields ou d'un Harvey Keitel... Mais tout n'est pas à jeter, et dans la toile de fond on remarque assez discrètement James Earl Jones (Darth Vader !) et David Strathairn (cliché du shérif solitaire) — Kevin Tighe et son acolyte sont en outre très convaincants en gros enfoirés à la tête de la milice armée par les exploitants miniers, mais en peine quand il s’agit de faire plus que de la caricature. Seul moment drôle : quand Cooper doit prouver que c’est bien un socialiste, il y a un petit questionnaire assez marrant à base de Jack London, dates symboliques de l’organisation syndicaliste, etc.
Il est question dans le fond d'union des forces à de multiples niveaux : ethnique, avec les Noirs envoyés sur place comme jaunes, tout comme les Italiens qui représentent de leur côté l'union au-delà des frontières d'un pays, au-delà de la barrière des langues (anglais et italien) ou des religions (protestantisme et catholicisme). C'est en quelque sorte une lecture marxiste du rêve américain, avec la réunion de descendants d'esclaves, d'émigrés italiens et de rednecks qui finissent par reconnaître leur véritable ennemi commun en dépassant les dissensions suscitées volontairement par les exploitants. La prise de conscience se fait ainsi autant au travers du personnage du Red envoyé sur place (l’équivalent de Ron Leibman dans "Norma Rae") que des discours enflammés d'un jeune prêcheur à l'église locale, épris de justice sociale (les références bibliques sont explicites, à commencer par Judas).
"Matewan" évite agréablement tout misérabilisme pour décrire les conditions pourtant sauvagement misérables des mineurs, notamment lorsqu'ils se trouvent expulsés à l'extérieur de la ville. En revanche on peut regretter un niveau de formulation politique un peu faible, avec ou sans militantisme, c'est sans doute le point faible du film. En tous cas la sobriété avec laquelle sont décrites les perturbations économiques et sociales de la grève, l'ingéniosité du patron pour saper le moral des opposants, et les chemins empruntés pour dépasser les préjugés reste un très bon point. Voir exprimé dans un format aussi académique une critique aussi socialiste reste le genre de subversion amusant.
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le 26 avr. 2023
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