Matrix est très certainement et incontestablement l'une des sagas les plus cultes de ma génération. Les trois films des Wachowski, vingt ans bientôt après leur sortie, ont marqué durablement les esprits et continuent de garder une place très importante dans la mémoire de nombreux amateurs de cinéma.
Quand on pense à Matrix, on se rappelle notamment de cette fameuse scène d'esquive de balles, ou du duel dantesque contre l'Agent Smith dans Matrix Revolutions. Mélange d'action et de science-fiction, Matrix nous fait basculer dans un monde parallèle où tout semble possible, mais où tout peut aussi avoir un impact sur la réalité. La force de Matrix réside d'ailleurs ici, car le film se présente comme une vaste allégorie d'une société emprisonnée dans les codes, les routines, la hiérarchie, la technologie et la déshumanisation. C'est ainsi que le film choisit la matrice, sorte d'immense programme informatique dans lequel évoluent des humains dépourvus de libre-arbitre, surveillés par des agents invincibles capables de remplacer n'importe qui selon leur volonté, dans le but de traquer ceux qui ont su se libérer de la soumission pour détruire l'emprise des machines, dans la réalité, et à travers la matrice.
Tous amorphes et aux actions préconçues, les personnages "annexes" sont associés à des programmes faisant partie de la matrice, représentation explicite de la société capitaliste moderne telle que vue par les auteurs. L'équipe de Morpheus, Trinity et Neo incarnent donc ces personnages rebelles qui décident d'agir et de lutter pour libérer l'humanité, dans un contexte de dystopie sociale d'un côté, et dans un contexte post-apocalyptique de l'autre. Matrix se présente comme une vision allégorique d'un monde où les machines ont supplanté les Hommes, qui ne deviennent plus que des produits leur permettant de fabriquer de l'énergie, critiquant l'évolution de la société actuelle, tout en offrant en même temps une vision prophétique et très pessimiste de ce qu'il pourrait devenir.
Ce premier film s'avère d'une densité assez impressionnante, qui se ressent dans la complexité de l'initiation offerte ici à Neo. Le héros va devoir ici remettre en question toute sa vision du monde, accepter que ce qu'il considérait être la réalité n'était qu'un monde artificiel où il n'avait aucun pouvoir sur sa destinée, et que le propre de l'Homme est de maîtriser son destin en comprenant sa propre nature, dans ses faiblesses mais, surtout, ses forces. Ainsi, si la richesse de ce premier film peut parfois le rendre difficile à appréhender dans son ensemble dès le premier visionnage tant il propose un discours riche en messages, sa construction en rite initiatique, mené par Morpheus, reste très judicieuse et bien structurée, pour que l'on arriver bien à cerner les enjeux de la tâche des protagonistes. Aussi difficile soit le défi à relever, qui consiste à se mettre dans les coulisses de notre réalité, à associer les univers de la matrice et la réalité, le pari est réussi.
Le parallèle se fait rapidement avec Dark City, dont on connaît les points de convergence avec Matrix, bien que le film d'Alex Proyas ait un fond plus mythologique et métaphysique encore. Ici, le film vient d'abord livrer un discours sociologique, avant de créer ses figures mythologiques, que sont notamment Morpheus, le mentor et messager, Trinity qui incarne et apporte l'amour, caractéristique et essentiel à l'humanité, et Neo, le combattant qui doit ramener l'équilibre. Nombre d'analyses déjà produites viendront creuser encore davantage tout ce que Matrix peut offrir dans sa densité et sa richesse, chaque visionnage permettant de voir encore plus de choses et de décoder peu à peu cette fameuse matrice. Avec Matrix, les Wachowski arrivent à concilier intrigue retorse et complexe et divertissement de haut vol, où l'action prend une toute nouvelle dimension, puisant dans la tradition du cinéma d'arts martiaux pour l'embarquer dans un nouveau siècle. Spectaculaire et vertigineux, Matrix est devenu un jalon majeur dans l'histoire du cinéma de science-fiction, et il n'a pas fini de nous offrir des surprises et des révélations.
Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art