"Tout est possible". Voilà la phrase finale de Matrix que le nouveau commencement qu'est son récit aura permis. En 1999, la fin du millénaire tiraillait les esprits entre leur excitation d'explorer ce nouveau monde numérique et la peur de voir le monde réel s'écrouler. Les Wachowski ont choisi leur camp : "Tout est possible".


Une phrase qui déclenche chez moi tout un tas de signaux d'alarme, l'idée que la volonté puisse défaire toutes les barrières ayant pour ma part plus souvent été destructrice que l'inverse. Une naïveté qui ne l'est pourtant pas tant que ça dans le contexte du film, Neo finissant comme gardien de la Matrice, s'envolant afin de donner un modèle à suivre à cette infinité de consciences encore piégée dans l'illusion, plutôt que comme réalité à atteindre, et laissant le choix de ce qui adviendra une fois cette nouvelle liberté obtenue au spectateur. De plus, la manière qu'a le film de fondre son spectateur et son héros en une seule entité (le premier plan s'adressant aux deux simultanément, les POV shots une fois que Neo entre dans la réalité, et l'écriture même de ce héros, reflet parfait de celui qui le regarde) me pousse vers l'idée d'un film conçu comme une entreprise de libération de l'esprit propre au mythe, plutôt que comme un commentaire politique. Mais l'allégorie traversant le film étant ce qu'elle est, géniale, difficile de se contenter de cette interprétation premier degré sans aller en chercher une plus concrète à même de nous éclairer sur notre monde, bien réel lui, matrice ou pas.


Un "Tout est possible" qui tiendrait donc plus de la direction que de la destination, pourtant mon spider-sense continue de me titiller. J'ai envie de me tourner vers la scène du sauvetage de Morpheus, où pour la première fois (mais on s'en doutait déjà un peu) Neo ouvre le feu sans sommation sur des agents de sécurité aux flingues encore bien rangés. Des "endormis" bon qu'à servir la machine, et de ce fait tout à fait jetables. Qu'on se comprenne bien, si se défendre face à ceux qui cherchent à nous nuire est une idée tout ce qu'il y a d'acceptable moralement, le manque de subtilité que je perçois à ce niveau dans le film me dérange. Comme le dit Morpheus, "si tu n'es pas avec nous, tu es avec eux", et jamais Neo ne remettra en cause cette maxime. Au contraire, il l'embrasse largement, et cette idée, liée à la fascination un peu malsaine du film pour les armes et les manteaux de cuir, finit de me convaincre qu'une partie de la réflexion manque aux Wachowski pour défendre jusqu'au bout leur point de vue.


Un angle mort dans la réflexion menée par le récit qui m'empêcherait d'être pleinement convaincu. Les Wachowski, dans leur volonté de mélanger l'idéalisme de Platon au pessimisme de Baudrillard, oublieraient de faire en sorte que leur héros façonne son désir : Neo se demande s'il est l'élu, et il s'agira à peu près de son seul questionnement existentiel, oubliant de se demander ce dont il a réellement besoin (le want vs. need si cher aux scénaristes étant ici à peu près absent). Le film cherche à faire naître une nouvelle humanité pouvant se défendre face à une nouvelle espèce de prédateur en appelant son personnage à "stand up and see for [him]self". Mais Matrix sera finalement pour moi l'histoire d'une humanité qui, plutôt que de s'élever pour mieux s'adapter, écrase pour mieux s'imposer au détriment de toute réalité. "Fate, it seems, is not without a sense of irony".

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le 16 févr. 2021

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