Une folie de tous les instants dans sa mise en oeuvre formelle, une encre enflammée qui emprunte à la poésie la force des mots et des acteurs qui se livrent à tel point que seuls leurs regards semblent avoir gardé leur libre arbitre, telles sont les composantes du puissant Mauvais sang.


En équilibre subtil entre la fable critique qui pointe du doigt, par l’intermédiaire d’une maladie imaginaire, les ravages du Sida, mais aussi cette propension qu’a l’homme moderne à galvauder l’amour, et l’exercice de style total, Leos Carax livre avec son deuxième film une œuvre envoûtante. Il y fait preuve d’une inspiration de tous les instants qui se traduit sans réserve dans sa mise en scène, foutraque mais expressive. Il use de toute la matière dont il dispose, la première étant les silhouettes nourries à l’adrénaline qu’il a pour comédiens, pour composer des images qui restent en tête (la danse désarticulée de Denis Lavant).


Mauvais sang est habité par des acteurs marquants : de Piccoli, très touchant, à Denis Lavant, magnétique, qui livre ici une performance remarquable sans jamais préserver son solide palpitant, en passant par les deux jolies présences féminines qui s’y partagent l’affiche, Carax dispose de véhicules émotionnels de premier choix. Dirigés d’une main de maître par un auteur qui a beaucoup de choses à dire, chacun d’eux parvient à se frayer un chemin vers nos sentiments. Que ce soit à l’occasion de discours presque naïfs mais hypnotiques ou bien au moyen de séquences plus symboliques qui prennent volontairement leurs distances avec un réel un peu trop sérieux, Carax parvient à garder une unité qui nous empêche de sortir du film. Unité maintenue par un ténu fil rouge qui revêt la forme d'une parabole sur l’amour à travers les âges, qui permet aux expérimentations du cinéaste de rester cohérentes.


Sa dissection philosophique, Carax l’entreprend à travers un récit initiatique qu’il nous fait partager par les yeux du touchant Denis Lavant, en évitant judicieusement de recourir à la dramatisation facile. Si la vie de son personnage est ponctuée de tristes événements, ils font partie intégrante de la vie. Ils ne sont exploités pour provoquer les larmes, leur but est de plonger le spectateur dans une réflexion mélancolique que chacun ressentira selon sa sensibilité.


C’est certainement ce relatif détachement quant au sort des personnages qui fait qu’on déguste, sans tristesse apparente, l’ultime séquence pourtant très émouvante qui clôt Mauvais Sang. Un final virulent qui ponctue avec style un joli moment, partagé entre expérimentation, inspiration et soif de simplicité. Un film paradoxal qui allie forme très libre et propos contenu, témoin d’une authentique envie de rester honnête, sans trop en faire.

oso
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le 23 juil. 2014

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