Mauvaises Filles de Emérance Dubas est un documentaire qui vient mettre en lumière une histoire rarement contée de la société française celle de la Congrégation de Notre-Dame de Charité du Bon Pasteur qui durant près de deux siècle servira d'institution pour remettre les jeunes filles dans le droit chemin. Rarement évoqué si ce n'est par le prisme de la fiction avec Les Diablesses de Harry Cleven en 2002 , le documentaire qui donne la parole à d'anciennes pensionnaires fait ainsi sens à la fois par son utilité pédagogique et le devoir de mémoire en venant éclairer des siècles d'éducation morale patriarcale.
Je commencerais toutefois par le défaut majeur du film, mais aucunement rédhibitoire, qui est de manquer de contextualisation historique pour expliquer pleinement les origines et le fonctionnement de cette institution religieuse que l'on ne découvrira finalement que très partiellement par le prisme des différents témoignages. Un petit détour par les bonus du DVD avec un entretien passionnant avec Véronique Dumas et quelques recherches rapides sur internet suffiront toutefois grandement à tout remettre dans un contexte global pour une compréhension plus fortes des enjeux du documentaire. Au départ faites pour les filles perdues et les prostituées l'institution va après la seconde guerre mondiale recueillir à la demande de juges ou des familles elles mêmes des jeunes filles à remettre dans le droit chemin. Insolentes, trop libres, trop proches des garçons, difficiles, incomprises, rebelles, victimes d'environnement familial néfaste, les motifs pour se retrouver sous la coupe des religieuses sont aussi nombreux que parfois futiles. Derrière se cache surtout une volonté de contrôler les corps, les pulsions, la liberté et la sexualité des jeunes femmes pour les maintenir dans un idéal très vieille France d'oies blanches dociles et innocentes et prêtes à être mariées en blanc de préférence. Il n'est donc pas rare de retrouver des jeunes filles victimes d'inceste et de viols qui se retrouvent de fait avec la complicité d'une justice défaillante comme des coupables contraintes d'être remises dans le droit chemin, c'est ici le cas de Eveline violée par son voisin à l'âge de douze ans et qui sera mise à l'institution (soit disant pour la protéger) suite à une confession religieuse. Longtemps cachées et protégées par un silence institutionnelle les pratiques des sœurs et de cette institution religieuse resteront inconnues et ce n'est pas la moindre qualité de ce documentaire et de ses témoignages de tout remettre en lumière. Négation de la féminité, dégoût du corps et des pulsions, conditionnement au rejet de la sexualité, négation de la personne (uniforme, vouvoiement, interdiction de parler des raisons pour lesquels elles sont enfermées) les sœurs exercent une pression à coup de châtiments corporelles, d'humiliations et de mise au cachot et à l'isolement. Il n'est pas tant question d'éduquer que de conditionner et les témoignages bouleversants se succèdent pour démontrer à quel point ses jeunes femmes sont avant tout des survivantes d'un enfer qui était clairement destiné à les briser.
La force et la puissance des témoignages de ces femmes nous explose parfois à la gueule avec l'intensité de confidences sans fards et sans filtres mais toujours d'une extrême pudeur. Impossible d'oublier ce récit qui raconte comment des jeunes hommes travaillant pour des souteneurs et des réseaux de prostitution attendaient la sortie des jeunes filles de ces institutions pour mettre le grappin dessus du fait de leur fragilité en les entraîner dans une suite encore plus sordide à tout ce qu'elles avaient déjà vécus. Impossible aussi de ne pas avoir les larmes aux yeux et la gorge serrée lorsque 50 ans après et à la lecture des archives de son dossier, une femme découvre que ses parents avaient écrit de nombreuses lettres afin de la sortir de cette institution. Une déflagration se fait ressentir dans ses yeux et dans nos cœurs lorsqu'elle découvre ce secret gardée par l'institution, elle qui croyait que ses parents l'avait tout bonnement oubliée et abandonnée …Forte aussi est la scène qui fait se juxtaposer les souvenirs d'Edith racontant son arrivée à l'institution avec une description minutieuse des lieux avec l'exploration façon urbex de ce qu’il en reste aujourd'hui, comme la confrontation d'un souvenir prégnant et d'un décorum aujourd'hui oublié et à l'abandon. Mais bien plus encore que la puissance de ces récits poignants et dignes c'est le courage et la résilience de ses femmes qui fait écho au formidable espoir qu'elles portent malgré tout au fond d'elles et malgré leurs profondes blessures : "On a pas toujours su donner de l'amour à nos enfants car on n'en a jamais reçu"
Utile, émouvant, enrichissant et éclairant le monde actuelle par la compréhension du passé, Mauvaises Filles est un formidable documentaire qui vient mettre en lumière une face cachée de la société française et rendre un magnifique hommage à ses femmes toujours debout.