« Oh, I don't have the guts, huh ? » JOHNNY BOY

Martin Scorsese peine à trouver un financement pour son troisième film. Après son premier film Who's That Knocking at My Door et sa production Roger Corman, le cinéaste choisit un sujet plus personnel pour son prochain film traitant de sa jeunesse à Little Italy. Roger Corman veut produire le film, mais il exige que les personnages centraux soient d'origine afro-américaine pour surfer sur la vague de la Blaxploitation. Martin Scorsese refuse, préférant garder intact son projet.

Durant des années, Martin Scorsese et Mardik Martin ont travaillés sur un scénario nommé Season of the Witch. Ce scénario se voit retravaillé avec l’aide de Sandy Weintraub, petite amie de Scorsese et fille du producteur Fred Weintraub. Elle fait remarquer à Scorsese que les anecdotes qui lui a raconté sur son enfance à Little Italy sont bien plus drôle que son scénario qui traite bien trop lourdement de l’angoisse existentielle catholique. Elle lui suggère alors d’enlever tout le barda religieux et d’ajouter ses anecdotes. Une grande place est accordée à l’improvisation au sein du scénario, Scorsese va d’ailleurs passer dix jours avec ses acteurs à démêler le nœud des relations entre ses personnages principaux.

Le film sera tourné à toute vitesse, 27 jours durant l’automne 1972. Le tournage du film se fait à la manière d’une production Roger Corman (l’équipe technique est recrutée dans l’université voisine pour une poignée de dollars).

Mean Streets sort en 1973 et hérite son titre d’une phrase de l’écrivain Raymond Chandler : « Down these mean streets a man must go… ». Le titre un peu prétentieux ne manque pas de soulever la polémique sur le tournage situé à Little Italy, les habitants interpellent Martin Scorsese en lui disant que ces rues n’ont rien de sordide. Scorsese se défend en disant que c’est juste le titre provisoire. Il fallait conclure des pactes avec tout le monde. Le propre père de Scorsese lui dira qu’il fallait lui en parler, ainsi il aurait pu discuter avec un tel et un tel, et ils auraient alors parlé au père d’un tel et celui-ci aurait pu s’arranger avec un tel, mais le réalisateur ne voulait pas que son paternel s’en mêle.

En un sens, son père ne pourrait être davantage impliqué dans l’histoire qui s’inspire des disputes nocturnes auxquelles le petit Martin Scorsese a assisté entre son père et son oncle. Le film explore ce genre d’exaspération familial en suivant un truand au grand coeur et son ami Johnny Boy, un chien fou, qu’il doit sans cesse sortir des pires situations. Scorsese nomme d’ailleurs son protagoniste Charlie comme son père et rempli son film des musiques entendu dans les clubs et bars durant les été 1963 et 1964. Le cinéaste montre comment était la vie à Little Italy.

C’est un film de flambeur, débordant d’exubérance et d’insolence. C’est d’ailleurs la voix de Martin Scorsese et non celle de son personnage principal qui ouvre le film. Tourné à bride abattue par un jeune réalisateur, impatient de tout montrer à l’écran, le film possède la spontanéité primesautière d’un journal de bord. Le film est souvent pris à tord comme le premier métrage du cinéaste tant il dévoile cette virtuosité propre aux premiers coup de maître. Scorsese fait pivoter sa caméra à chaque nouvelle apparition : regarde Manhattan depuis l’arrière d’une Thunderbird, regarde cet assassin (joué par Scorsese lui-même) qui embrasse son flingue avant de tirer, regarde cet ivrogne qui refuse de mourir, regarde la fumée de cigarette souffler au ralenti, regarde ces jeunes félins qui font les cents pas dans leur cage, regarde Charlie et sa bande.

Le cinéma américain n’a alors jamais rien vu de pareil. C’est un véritable phénomène de son époque, un triomphe de cinéma personnel. Il possède sa propre sa propre esthétique hallucinatoire, les personnages vivent dans l’obscurité des bars, dont l’éclairage et les couleurs frôle le mauvais goût. Il possède son propre rythme, déroutant, épisodique, et un registre hautement émotionnel à la sensualité vertigineuse. Aucun autre film de mafia renferme ce degré d’obsession personnel, jamais auparavant a-t-on vu un film de gangster où l’on sent que le réalisateur dit : c’est mon histoire.

The Godfather, sortie à peine une année plutôt, n’atteint guère ce niveau d’exubérance, là n’est d’ailleurs pas son but : il préfère viser la fable aux tons sépia. Le film de Martin Scorsese montre des meurtres, des accidents de voiture et d’horrible blessure par balle, pourtant, l’ensemble paraît d’une incroyable légèreté. Si ce film bat The Godfather comme film de gangster préféré de la mafia, (du moins selon Henry Hill, le mafieux devenu indique) c’est sans doute parce que le crime ne constitue finalement pas son véritable sujet.

Robert De Niro apparaît pour la première fois dans une réalisation de Martin Scorsese. Les deux hommes se sont rencontrés lors d’une fête de Noël par l’intermédiaire de Brian De Palma. Ils font connaissance et apprennent qu’ils traînaient des des bandes rivales. Ce soir là, une amitié qui durera des décennies commence. De Niro commence par refuser le rôle de Johnny Boy, le cousin indomptable. Il préfère jouer Charlie le protagoniste déchiré entre sa conscience et son attirance pour le milieu, mais les producteurs veulent une star. Cependant Scorsese tient à imposer son ami Harvey Keitel pour qui il a écrit le film et persuade De Niro de changer d’avis pour incarné Johnny Boy. L’amitié entre les deux acteurs est aussitôt palpable à l’écran. Ils ont compris que la relation entre les personnages est fondée sur l’amour qu’ils avaient l’un pour l’autre, mais que l’un en profitait davantage que l’autre.

Tout dans le film se tient sur le fil du rasoir, y compris le ton, qui ne cesse d’osciller entre hilarité et menace, et ceci plusieurs fois dans la même scène. Les humeurs passe d’un extrême à l’autre, les scènes s’enchaînent et se bousculent. Une scène d’amour se déroule au son d’une fusillade, Harvey Keitel et Robert De Niro s’affrontent à coups de couvercle de poubelle avant d’aller se coucher dans le même lit. De tous les acteurs du film, De Niro reste celui qui incarne le mieux ces revirements caractériel. Dès sa première apparition, où il fait mine de laisser son pantalon au vestiaire avant d’expliquer comment il s’est offert ses jolies fringues, De Niro est l’insolence personnifiée. Petit feutre vissé sur le crâne, il débite des foutaises avec une superbe époustouflante, se fait rabrouer, se contredit, puis remonte à la charge. C’est un tour de force, de comédie où l’on attend des sommets de mauvaise foi et d’effronterie.

Je laisse la conclusion à Martin Scorsese, lui-même, qui ne ment pas sur ce qu’est son film :

Je voulais juste faire une sorte de film anthropologique qui parlait de moi et de mes amis. Et je me disais que même si il restait sur une étagère, quelqu’un le prendrait des années plus tard et se dirait que c’était comme ça que les italo-américain de tous les jours (pas les gros bonnets de The Godfather), à l’échelle quotidienne, c’était à ça qu’ils ressemblaient vraiment. Et c’était ça qu’il faisait au début des années 70 et à la fin des années 60. Voilà ce qu’était leur mode de vie.
StevenBen
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le 23 oct. 2023

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Steven Benard

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