Mean Streets par Dicoland
Martin Scorsese nous dépeint la vie des banlieusards dans la Little Italy (Quarter New-Yorkais) des années 70 grâce à ce chef d’œuvre contemplatif. Ce film en "costard et pistolet" est un des premiers films à grand succès de celui-ci. J’appelle film en "costard et pistolet" tout film qui parle d’argent, de mafia, de dettes, de braquages… C’est aussi pour lui sa première collaboration avec Monsieur Robert De Niro. On y retrouve aussi Harvey Keitel, qui sera lui aussi une muse de grands réalisateurs de film décalés. On le voit entre autres dans Taxi Driver du même producteur, mais aussi Reservoir Dogs et Pulp Fiction (où il y fait une plus courte apparition) de Maître Tarantino (liste non exhaustive). C’est d’ailleurs surprenant sans l’être que ces deux producteurs se piquent des vedettes.
Mean Streets est composé d’un schéma classique du cinéma. Une bromance, entre deux jeunes, Charlie et Johnny, qui rêvent de pognon illégal. Bien sur, ces deux copains ont un caractère opposé. Charlie (Keitel) dispose d’une famille déjà impliqué dans des affaires louches, situation dont il se sent coupable par rapport à celle de son acolyte. C’est un homme pieu qui ne peut d’ailleurs pas s’empêcher de s’infliger confessions et souffrances à chaque fois qu’il fait quelque chose de contraire à l’éthique. D’ailleurs, on se demandera pourquoi il n’arrête pas de voir Johnny Boy (De Niro) qui est lui, son exact opposé. Énervant, peu loquace, irrespectueux, fou, accro à l’endettement, ne prenant pas les choses au sérieux, Johnny est un réel poids sur les épaules de Charlie. Et on peut donc penser que Charlie, qui a l’habitude d’autopunitions, ne peut s’empêcher de vouloir aider Johnny, le prenant lui aussi pour une punition qu’il doit supporter. Ce qui expliquerai l’étonnante flexibilité du personnage d’Harvey Keitel. De plus, on a l’impression que Johnny en joue, n’hésitant pas à s’endetter de plus en plus, sachant que son bouclier Charlie sera toujours devant lui. Johnny Boy est la punition de Charlie, Charlie est l’excuse de Johnny Boy.
La performance de Robert De Niro est tout simplement grandiose. D’habitude peu bavard, on le voit ici dans une première scène accompagné de deux femmes, leur débitant des salades sur lui-même, se faisant passer pour quelqu’un qu’il n’est pas. Il leur paye d’ailleurs une tournée avec de l’argent qu’il n’a pas, mais muni d’un chapeau coûtant 25$ (prix dont il se vantera). Petit détail bien pensé, le claquement du chewing-gum de celui-ci, qui le mâche bouche ouverte, ce qui appuie ce côté présomptueux. De Niro joue parfaitement l’imbécile arrogant, manipulateur qui croit tout savoir. Ceci est d’autant plus intéressant que De Niro jouera par la suite des rôles plus classes (Les Affranchis), plus calmes (Jackie Brown) et plus lucides (Taxi Driver, Voyage au bout de l’enfer). Keitel sera, lui aussi, excellent acteur. Son visage angélique et ses manières chrétiennes lui collant parfaitement au costard.
Le scénario en soi n’a rien d’exceptionnel, mais on se plaît à contempler comment Charlie essaie de ramener Johnny sur les voies de la raison, en le poussant à rembourser ses dettes. On a presque envie de l’aider à lui mettre des claques. Cela permet aussi d’avoir un aperçu de la vie dans ce quartier à cette époque, quartier ou Scorsese a d’ailleurs grandi. La réalité finira finalement par rattraper Johnny, mais aussi Charlie, qui est le garant des dettes de celui-ci. Tout cela sur un fond de décor du bar de Tony, un de leurs amis, qui trempe aussi dans des affaires louches. Le film est aussi sublimé par la pression redondante du créancier de Johnny, à qui il doit plus de 2000$, en ayant seulement 8 en poche, et se permettant de cramer un billet lors d’une scène. Comme d’habitude, on aura aussi quelques apparitions de Scorsese dans son propre film, qui joue un personnage loufoque.
La véritable essence de ce film est donc leur relation, qui est impossible et incompréhensible mais réel. C’est une des premières performances de Scorsese qui a du marquer son style par la suite.