Pâté en croupe
Abdellatif Kechiche, depuis La vie d’Adèle, semble désormais devenu plus clivant que jamais (La vénus noire présageait déjà de la chose) et susciter la controverse au moindre de ses mouvements. Les...
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le 22 mars 2018
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Alors que La Vie D’Adèle et son couple mémorable nous trottait encore dans la tête, Abdellatif Kechiche revient avec Mektoub my love (canto uno) et son style inimitable, qui cette fois ci, malheureusement, touche de près les limites de l’introspection faite par le réalisateur durant ses récits. Ce qui fait souvent le charme des œuvres du cinéaste provient de la force, véritable, presque documentariste de ses personnages.
Sa mise en scène, souvent naturaliste, faite de gros plans qui empoignent les visages des protagonistes dans leur propre turpitude et déambulation, permet à Kechiche de faire fleurir l’émotion, de capter avec précision et effort la moindre parcelle de vie. Pourtant, malgré cette proximité entre la caméra et les corps, cette manière qu’à l’image chez Kechiche à arracher l’authentique, le laid comme le beau, le bon comme le mauvais, le cinéaste arrivait toujours à s’effacer au profit de ses personnages, comme en témoigne la rencontre entre Adèle et Emma. Mektoub My Love, quant à lui, ne dépareille pas dans la filmographie de Kechiche. Lors d’un été où Amin revient à Sète passer ses vacances, le film nous raconte l’été d’un groupe d’amis, qui se trouvent, qui se cherchent, se draguent ou même s’engueulent.
Oui, Mektoub My Love démontre une nouvelle fois, la fulgurance de sa mise en scène, arrive avec brio à faire monter la chaleur de plusieurs crans, détient en lui une transe juvénile et organique où les corps résonnent autant que les rires durant des jeux de plage qui paressent être des ballets qui débordent d’une joie communicative. Puis, il y a ces jeux de regards, ces danses, ces étreintes qui sont d’un naturel inédit, ces petites discussions anodines sur les relations, la manifestation d’une liberté de ton, le portrait d’une époque où le téléphone et twitter ne faisaient pas rage, et où les contacts humains s’avéraient plus directs. Ces acteurs, ces actrices, ces nouvelles gueules qu’on ne pourra pas oublier tant ils ont du charme, à l’image de la beauté fatale du film, Ophélie Bau.
Tout comme Call me by your name, le film d’Abdellatif Kechiche se veut être un film solaire, un souvenir estival, friand des premiers émois, qui creuse le sillon de la naissance d’un désir inévitable. Pourtant Mektoub s’avère moins didactique, a quelque chose de plus brut de décoffrage, le corps y est moins éphèbe mais plus charnel : la première scène de sexe , très crue, entre Ophélie et Tony n’est pas sans rappeler celles de La Vie d’Adèle. Cela va sans dire que Mektoub My Love est un film sur le désir. Mais le désir de qui ? Des personnages ou du réalisateur ? Et c’est avec grand regret qu’on voit l’énorme limite même de Mektoub My Love : la caméra se substitue au regard libidineux et voyeuriste d’Abdellatif Kechiche, plus prompt à mater du bon fessier qu’à faire naitre des émotions. Où est le problème, nous dirons-nous ?
Ces multiples (et le mot est faible) plans sur le cul des actrices n’a pas pour seul effet que d’être gratuit. Dans un film qui se veut être une œuvre sur le désir, il est presque normal de montrer les prémices des pulsions corporelles, de voir une tension sexuelle entre personnages, de magnifier les courbes de ses actrices ou acteurs, quitte à rendre la chose purement graphique et esthétique. Parfois c’est beau, mais souvent c’est insistant. Surtout que le réalisateur n’en est pas à son premier coup d’essai sachant que les longues scènes de sexe de La Vie d’Adèle provenait plus du fantasme de Kechiche que de l’imagerie même de l’acte sexuel en lui-même. Le problème dans Mektoub My Love c’est que Kechiche affiche trop ses intentions, ne cesse de placarder « ses culs » durant n’importe quelle scène et dématérialise presque les émotions des personnages, enlève toute sève, écrase cette idée de vouloir rendre hommage au corps féminin ou ôte tout libre arbitre à sa bande de jeunes pour que lui, de son côté, profite du spectacle et s’amuse à filmer un corps féminin qu’il semble adorer. Surtout de dos me direz-vous.
Une scène est marquante, celle où Ophélie se change dans sa chambre pour bosser dans la ferme familiale alors qu’elle vient de rentrer tardivement de la plage. Séquence qui dure bien quelques minutes, dont la vingtaine de plans restent scotchés sur les fesses de l’actrice. A ce moment, nous n’avons plus un réalisateur qui filme un personnage, voulant mettre en valeur son émancipation corporelle ou sexuelle, mais un réalisateur qui scrute avec délectation son actrice. La nuance est assez frappante. Mais en soi est ce dérangeant ?
Dans un sens non, d’un point de vue moral, rien de choquant ni d’oppressant sur la vision un brin bas du front qu’à Kechiche sur le corps féminin. Non, le réel souci est bien narratif et émotionnel : toute tentative d’émotion est coupée dans son élan, avec des personnages qui s’avèrent asphyxiés par ce regard omniprésent, qui semblent du début à la fin rester dans leur propre stéréotype et leur simple caractérisation : Céline, Charlotte voire même Tony, tous ses personnages creux comme les vagues de la plage et dont Kechiche ne semblent pas vouloir s’intéresser ou donner vie.
Mektoub My Love parle de ces brefs moments de vie, assez fades : mais Ophélie parle de Tony pendant 3h, Amin écoute sagement pendant 3h. Céline drague tout ce qui bouge pendant 3h. Les scènes s’étirent mais ne vont pas en profondeur à l’image de cette très, très longue scène où tout ce petit groupe se prépare pour aller en boite. Kechiche a voulu faire disparaitre toute trace de narration et cela se sent, dans une histoire composée de dialogues souvent quelconques, sans envergure.
Par exemple, la scène de drague entre Céline et le cousin de Tony, cette danse sensuelle aurait pu être pleine de fougue sauf que Kechiche reste collé en dessous des hanches de l’actrice, et de ce fait, dissimule toute osmose entre personnage, enlève ce moment d’intimité entre deux personnages. Le réalisateur préfère nous faire ressentir sa propre relation à son actrice. Bizarrement le côté omniscient, voire biographique du réalisateur, passe moins par Amin que par son emboîtement à la caméra. Mektoub My Love est de ce fait l’un des films qui parle le plus de Kechiche. Et pas forcément en bien malheureusement.
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le 26 mars 2018
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