Politique-fiction hors-normes - aussi bien par sa durée démesurée de plus de sept heures que par le caractère proprement atypique de son scénario et sa dimension interactive - Melancholia de Lav Diaz est une expérience de cinéma totalement fascinante, sidérante, subjuguante presque.
Grisante, capiteuse comme un bon vin rouge la beauté des plans du cinéaste philippin fait corps avec un récit particulièrement déroutant, proche de la parabole dystopique ou de la fable d'anticipation. Articulée autour d'une petite poignée de personnages à l'identité sociétale sciemment indéterminée ( Alberta Munoz et son mari Renato, Julian Tomas le faux souteneur et Rina la bigote principalement...) l'intrigue de Melancholia s'amuse à déjouer nos attentes et à nous égarer dans les contrées anguleuses et hostiles de la région de Sagada, montrant une société philippine sous le joug d'une système cultivant l'aliénation et la conditionnement mental.
Prenant un temps considérable à installer la ou les situations de son très long métrage Lav Diaz voue une confiance sans bornes à la beauté de ses décors naturels, semblant se servir avec intelligence de la force inéluctable des éléments : pluies torrentielles, pénombre revêche ou encore accalmies terrestres irrégulièrement scandées par quelques bourrasques inopinées... L'ensemble tient du voyage contemplatif assurément désarçonnant, échappant littéralement au temps qui passe et d'un intérêt politique indiscutable.
Dans ce conte pré-apocalyptique où chaque figure emprunte un rôle à jouer pour s'en débarrasser la semaine suivante ( une prostituée devient femme vertueuse selon les situations, un proxénète se tourne vers la littérature cathartique après avoir organisé d'étranges soirées libertines dans des chambres d'hôtel louées à cet effet, une nonne apocryphe semble songer à mettre un terme à ses jours après une collecte aux intentions douteuses...) l'exigence et la patience du spectateur sont clairement mises à rude épreuve : lent, parfois déséquilibré dans son rythme Melancholia est pourtant un formidable révélateur du totalitarisme philippin. C'est nébuleux, visuellement sublime et d'une authenticité imparable !
Durant plus de sept heures Lav Diaz brouille les pistes, s'amuse de la portée symbolique de ses figures et de ses personnages et extirpe une redoutable munificence des aspérités de ses forêts, de ses villages et de ses vallées. Vertigineux le récit se déplace de surprise en surprise, quitte à parfois jouer la carte du rébarbatif ( une répétition d'un concert éhontément cacophonique, quelques plans-séquence d'une plombante austérité...) sans pour autant donner de véritable réponse aux interrogations intrinsèques à cette hénaurme critique du modèle politique philippin. A voir absolument pour qui aime les expériences de cinéma à la fois hypnotiques et inconfortables.