Nolan transforme un simple polar en thriller remarquablement intelligent

Couronné de succès dans divers festival grâce à son film The Following, Christopher Nolan décide de partir s’installer aux États-Unis pour s’atteler à son nouveau projet, un thriller traitant de la mémoire. Son frère Jonathan l’accompagne, profitant du voyage pour terminer ses études universitaires à Washington. Par correspondance, ils vont établir ensemble le scénario du nouveau projet de Christopher, peaufinant chacun de leur côté leur propre version : Jonathan en fera une nouvelle intitulée Memento Mori tandis que Christopher livrera le film qui le fera connaître des puristes du cinéma, Memento.

Un script qui a été présenté au producteur Aaron Ryder (l’un des dirigeants de la société Newmarket Films) par Emma Thomas, la compagne de Christopher Nolan, et qui a tout de suite été séduit par le projet. Parce que le film suit un homme atteint d’une amnésie rare tentant tout de même de retrouver l’assassin de sa femme ? Plutôt par l’idée de Christopher qui diffère principalement de la version de son frère Jonathan : raconter l’histoire à l’envers, soit commencer par le dénouement et terminer par le début. Un concept pour le moins inédit dans le milieu cinématographique et qui pouvait perdre plus d’un spectateur. Et pour cause, comment intéresser ce dernier quand la fin lui est révélée ? Surtout qu’ici, il est question d’un thriller, un genre de divertissement qui ne jure que par le suspense et donc son climax basé sur une ou plusieurs révélations devant impressionner.

De ce fait, lors des premières minutes du film, difficile de savoir où Christopher Nolan veut en venir, surtout quand ce dernier alterne séquences montées à l’envers et passages en noir et blanc étrangers à la trame principale qui s’enchaînent, eux, dans un ordre chronologique tout ce qu’il y a de plus normal. Il faut bien le dire, Nolan n’arrive pas à capter l’attention, son scénario se montrant à première vue plutôt fouillis pour ne pas dire sans queue ni tête. Et la mise en scène n’aide pas vraiment, cette dernière ne présentant aucune ambiance. Pas la moindre atmosphère qui pourrait titiller la curiosité, la faute à une musique absente du projet et un style visuel qui se rapprocherait bien plus du documentaire que de la fiction. Un choix tout ce qu’il y a de plus honorable, permettant au spectateur de se rapprocher du personnage principal. Mais cela n’enlève pas cette sensation qu’il manque de l’envergure au projet pour que celui-ci puisse véritablement attiser la curiosité. Serait-ce un coup dans l’eau pour Nolan ? Bien sûr que non !

Raconter cette histoire à l’envers a permis au réalisateur de faire le même exercice qu’avec The Following, à savoir divertir et intriguer le spectateur tout en le trompant. En effet, chaque séquence (représentant 15 minutes d’enquête du personnage principal avant que celui-ci n’oublie tout) est l’occasion de dévoiler une facette des protagonistes, qui sera remise en cause avec la séquence suivante, ces derniers se jouant du héros et de son amnésie soit pour l’aider soit pour se servir de lui à des fins personnelles. Il se retrouve donc trompé par ceux qui l’entourent, ses propres préjugés mais aussi par son système de mémo à base de post-it et de tatouages dont les messages prennent une toute autre signification à chaque séquence passée. Et comme le style documentaire rapproche le spectateur de Leonard, c’est lui qui se retrouve berné à son tour, jusqu’à un dénouement (le début de l’enquête) tout bonnement inattendu qui vous fera voir le film d’un autre œil lors du second visionnage.
Qu’en est-il alors des scènes en noir et blanc, étant donné qu’elles racontent une toute autre histoire ?

Premièrement, elles permettent de faire une transition entre chaque séquence de l’enquête, étant donné qu’elles s’immiscent entre chacune d’entre elles pour éviter les retours en arrière trop brutaux. Deuxièmement, elles servent à établir une mise en abyme du héros : en lisant entre les lignes, vous verrez que le destin de cet homme, Sammy Jankis, atteint d’une amnésie similaire au héros, est le même que celui de Leonard. Encore une fois, vous vous retrouverez trompés par une histoire qui n’a rien à faire là et qui, pourtant, vous fournit tout un lot d’indices sur l’enquête principale. Et pourquoi ce format en noir et blanc ? Là, plusieurs explications sont possibles, notamment celle de différencier cette histoire à l’enquête principale. Mais ce procédé marque également une transition dans le cinéma de Christopher Nolan, celle où le réalisateur a quitté le Royaume-Uni, sa terre natale (ses courts-métrages et The Following sont tournés en noir et blanc), pour se tourner vers les productions américaines, pour ne pas dire hollywoodiennes (le passage à la couleur).

Il est certain que Memento en fera fuir plus d’un à cause d’un concept scénaristique dit révolutionnaire qui casse tous les codes spatio-temporels d’un thriller classique et donc les repères du spectateur. Mais une fois cette nouveauté assimilée, il ne sera pas compliqué d’aller jusqu’au générique de fin et de découvrir un bijou cinématographique hors normes, qui jouit d’un script malin au possible et d’une mise en scène personnelle et travaillée faisant de Memento un véritable chef-d’œuvre, servi qui plus est par d’excellents acteurs. Un coup de maître pour un réalisateur-scénariste qui n’en été encore qu’au début de sa carrière internationale !

Créée

le 26 juin 2012

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