Comme dans (presque) tous les films de Nolan, l’immersion est instantanée et durera jusqu’à la fin. La plongée est avant tout sensorielle (mais pas forcément émotionnelle, ce qui est souvent le défaut reproché à Christopher). On est embarqué dans l’univers des frères Nolan dès le premier plan. Une photo Polaroïd de ce qui semble être une scène d’un crime sanglant, s’effaçant peu à peu sous nos yeux. Une manière brillante de nous faire vivre la “condition” de Leonard, le personnage principal, atteint d’amnésie antérograde depuis un incident tragique.

Comme souvent, Nolan construit son histoire autour d’un concept original et complexe. Ici l’amnésie antérograde du personnage, dans Inception la manipulation des rêves, dans Tenet l’inversion. Mais comme pour ses autres films, le concept choisi n’est qu’un prétexte pour explorer des thématiques de l’existence humaine. Dans Mémento ce sera le deuil, le besoin de donner un sens à ce qui nous arrive et un sens à sa vie. Francois Cheng parle du mot sens, monosyllabique, comme un diamant de la langue française. Tout est dit dans ce mot. Sens. Sensation. Direction. Signification. C’est de tout cela dont est mû Léonard. C’est ce qui fait avancer l’histoire, ce qui explique pourquoi il s’embarque dans cette succession d’événements tragiques. Mais dans sa quête de sens, Léonard est démuni. Il le dit lui même au milieu du film. Comment peut-il guérir et faire le deuil quand la dernière chose dont il se rappelle est précisément le meurtre de sa femme qu’il essaye en vain de sauver. Ici on touche à une autre thématique chère à Nolan, le temps, et la perception (relative) du temps.

Partant avec un handicap sévère, Léonard bascule du mauvais côté. Pour lui le deuil ne peut être que vengeance, et une vengeance sans fin. On sait que le salut ne vient jamais de la vengeance, mais pour Léonard cela est plus vrai que pour tout autre héros. Sa vengeance est un éternel recommencement. Il se souvient toujours qu’il doit tuer le meurtrier de sa femme, mais oublie qu’il l’a déjà vengé. Comme Sisyphe poussant son rocher pour l’éternité, Léonard sera toujours à la recherche du meurtrier. Mais contrairement à Sisyphe dont le tourment est dû au courroux des Dieux, l’impasse dans laquelle se trouve Léonard résulte de son propre fait. Un autre thème cher à Nolan: les mensonges que l’on se raconte, le déni dû à une culpabilité non assumée. Leonard se manipule lui même car il sait que si la vengeance s’arrête, il n’aura plus aucune raison de vivre. Il fait le choix de tuer pour continuer à vivre. Nolan comme à son habitude prends le spectateur à contre pied. Le personnage pour lequel on avait une compassion réelle se révèle être tout autre que celui qu’on croyait. La manipulation peut aussi se faire de réalisateur à spectateur.

Un film à avoir sauf si vous êtes atteint d’amnésie antérograde.

YoyoXVIII
8
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le 21 nov. 2020

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